La chronique du Tocard. Police
Messaouda Dendoune n'avait pas compris le sang qui coulait le long de mon pif et elle m'avait demandé des explications en profondeur. Déjà qu'elle était en état maximum de stress depuis qu'elle avait appris mon placement en garde à vue, il y a cinq heures de cela, dans ce comico parisien. L'inspecteur avait appelé à son domicile pour lui signifier la mauvaise nouvelle et elle avait pris le train d'emblée toute seule jusqu'à la Gare du Nord avant que des badauds ne viennent en aide à son illettrisme et la redirigent vers le bon métro. Maman s'était pointée au commissariat, épuisée par un tel voyage.
Pour pas l'inquiéter davantage, j'avais décidé de lui mentir sur toute la ligne, en lui disant que je saignais à cause de la fatigue. Je n'avais pas voulu lui parler de cette énième agression policière. A quoi bon de toute manière ? Demander des comptes à la police des polices ? Les flics ont toujours eu carte blanche pour taper sur du basané.
En ma qualité de mineur émérite, j'avais 17 ans, ma mère avait eu le droit de me voir quelques minutes. Elle m'avait offert de bon cœur son mouchoir blanc pour que je puisse sécher cette grosse tâche rouge qui avait envahi une partie de mon visage : ses larmes à elle, elle les essuierait autrement.
Suspecté, à juste titre, d'avoir participé à une bagarre entre bandes mal léchées, l'inspecteur qui m'interrogeait, commençait à perdre patience face à mes silences répétés. Non, je ne balancerai jamais mes copains, parce que même dans les films de gangsters ça ne se faisait pas, même si moi-même j'avais été victime de la trahison d'un des miens.
Voyant qu'il n'obtiendrait aucune information de ma part et pour m'humilier, parce que ça ne coûte pas plus cher, le policier n'avait rien trouvé de mieux, que de sortir son sexe, avant de s'asseoir sur moi, son visage tourné vers le mien, les jambes bien écartées, sa queue posée sur ma cuisse. Une position qui semblait lui convenir à ce salaud !
Ecœuré par tant d'indélicatesse, légitime défense oblige, presque machinalement, je l'avais giflé. En retour, j'avais eu droit à deux coups de bottin en pleine tronche, pages-jaunes-pages-blanches, et je m'étais retrouvé à terre. En plus de toutes les insultes d'usage, notamment celles qui concernaient mes origines non contrôlées. "Bicot, Raton, Bougnoule, rentre dans ton pays", etc…Élégant…
Dans notre belle République égalitaire, le flic a toujours eu un penchant pour l'extrême droite. Il a toujours eu du mal à considérer les métèques de mon espèce comme des Français à part entière. Ça doit bloquer au niveau du cerveau : la touche "Il n'y a pas que les Blancs qui ont le droit d'être Français" ne doit pas être actionnée.
Et puis, quand t'apprends que la majorité d'entre eux en pince pour le FN, tu comprends que le racisme est toléré dans la police et que certains doivent même faire ce métier pour pouvoir régler quelques comptes en toute impunité.
Dix minutes après cette tentative d'attouchement du fonctionnaire de police, ma mère était arrivée au commissariat. C'est elle qui m'avait informé que je saignais du pif. Elle semblait étonnée de me trouver dans cet état là. Comme beaucoup, elle n'avait pas conscience de la réalité. Elle ne connaissait rien des tensions qui existaient depuis toujours entre nous, habitants des quartiers populaires et la police républicaine.
La première fois que j'ai vu des policiers, j'avais 6 ans. Je jouais au bac à sable en bas de chez moi. Ils étaient venus à la cité chercher un grand, quelqu’un que j'aimais bien. A trois sur lui, en bons lâches, ils l'avaient d'abord plaqué contre le mur avant de le foutre au sol, avec une violence inouïe. Ils l'avaient ensuite embarqué et son visage était ensanglanté.
La police est devenue mon ennemie à cet instant. En grandissant, rien n'allait s'arranger. Les forces de l'ordre, surtout pas les gardiens de la paix, déboulaient souvent dans notre quartier comme des cow-boys, prêts à en découdre.
Mon tout premier contrôle de police, j'étais pas encore majeur. Je devais avoir 14-15 ans. Avec deux potes, on était parti chercher des frites merguez à 10 francs à Place Clichy. Des civils nous avaient présenté leurs cartes de police. Devant tout le monde, ils nous avaient écarté les jambes et nous avaient collé les bras contre le mur. On faisait bien délinquant.
Les contrôles d'identité ont fait alors partie de mon lot quotidien. Tous les jours, les flics vérifiaient mes papiers. J'étais Français depuis la naissance, mais il fallait que je le prouve tous les jours ! Cette routine, j'ai fini par l'accepter. Comme tous mes amis métèques qui subissaient le même sort. Et c'est sans doute cela le plus grave. Et aussi le plus triste.
Alors, à chaque fois qu'on croisait la police, on n'était pas rassurés et on bifurquait sur les côtés, même quand on avait rien à se reprocher.
On vivait leurs contrôles comme des agressions, des provocations, d'autant qu'ils nous tutoyaient souvent et qu'ils nous insultaient parfois. Je crois que c'est aussi comme ça qu'on peut devenir délinquant, puisque ceux qui sont censés représenter l'ordre, vous enferment dans cette case "racaille".
Un jour, en fin d'après midi, vers 18h, avec des copains, on discutait peinard en bas du hall et des flics ont débarqué à la cité. Ils nous ont très vite emmenés dans un coin discret et après avoir palpé nos corps, comme à leur habitude, et qu'ils se soient rendu compte qu'on n'avait rien d'illicite sur nous, et parce qu'ils sont curieux, ils ont voulu approfondir leurs recherches. Ils étaient persuadés que nous cachions du shit dans nos anus.
On a donc été obligé de se foutre à poil. Rien dans nos derches. On a remis nos pantalons. Et ils sont repartis. Comme si tout ce qu'on venait de vivre était normal… En parlant avec des gars d'autres quartiers, on a alors appris que c'était une pratique courante de la volaille. Puisque d'autres le vivaient, on a fini par l'accepter. Une norme, ça se construit comme ça !
La plupart du temps, on avait affaire à de jeunes flics, fraîchement sortis de l'école, des gars de province qui n'avaient jamais vu de leur vie un Noir ou un Arabe, et qui paniquaient dès qu'ils en croisaient un.
C'était le même système que pour les profs : les flics les plus mal notés, les moins expérimentés, ceux qui n'avaient pas choisi d'être là donc, atterrissaient là où personne (ou presque) ne voulait aller : dans les quartiers populaires.
Je résume : pour nous, les classes dangereuses, ceux qui avaient le plus de difficultés sociales et qui auraient mérité un plus gros soutien de la République, nous avions droit à des flics jeunes, des profs jeunes, contraints d'être en "banlieue" et pressés d'être mutés ailleurs. Un beau mélange pour la "réussite", le top pour que ça se passe bien !
Gamin, encore, dans notre ville de l'Ile-Saint-Denis, il arrivait parfois que ça se passe pas trop mal avec les poulets parce qu'il y avait nos îlotiers : on n'appelait pas ça la police de proximité, mais c'était ça l'idée.
Ils se baladaient en mobylette et avaient un local à côté de la cité. Ils connaissaient tout le monde et appelaient souvent les gens par leurs prénoms. Il nous arrivait d'échanger avec eux. Jamais, leur local n'a été attaqué.
Sans éprouver de l'amour pour eux, nous ne les détestions pas. On avait même un peu de respect parce qu'ils faisaient juste quelque chose que les flics d'aujourd'hui ne font plus : de la prévention.
Par exemple, un soir, sans verbaliser mon cousin qui aimait rouler en 103 la tête libre, nos flics locaux l'avaient obligé à porter un casque de moto. La semaine suivante, mon cousin avait fait un accident terrible. Les îlotiers venaient de lui sauver la vie….
Puis en 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a pris les commandes. Le 3 février à Toulouse, devant la presse, le ministre de l'Intérieur de l'époque, a fanfaronné. L'abruti, qui sorti des zones piétonnières de Neuilly-sur-Seine, ne connaît rien aux quartiers populaires, a dit à trois îlotiers courageux qui tentaient de remettre du lien social dans une des cités de la ville : « La police n'est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n'êtes pas des travailleurs sociaux ».
Et la police de proximité, déjà qu'elle aurait mérité de se perfectionner, a disparu totalement. Aujourd’hui, les flics sont dans la rue uniquement quand il y a des problèmes.
En "banlieue", les forces de l'ordre ont développé la "culture du rodéo". C'est à dire qu'ils ne sont jamais sur le terrain quand c'est tranquille, mais débarquent, tous gyrophares dehors à la moindre étincelle. Bref : sans surprise, ils arrivent toujours trop tard, quand le mal est déjà fait.
Et comme ils ne comprennent pas ce qu'il s'est passé, ils cognent dans le tas. Bien entendu, le plus souvent sur les plus bronzés parce qu'ils savent que personne ne leur en tiendra rigueur. Puis, les flics redisparaissent jusqu'au prochain problème qu'ils vont à nouveau transformer en émeute.
On préfère nous envoyer la BAC… Pour eux, nos quartiers c'est le Far West où ils peuvent librement jouer aux cow-boys. On voit même de plus en plus débouler les CRS. Alors, face aux habitants des quartiers populaires qu'ils prennent pour des apaches, ces cow-boys ne sont pas vraiment connus pour leur envie de dialogue mais plutôt pour leur goût implacable du maniement de la matraque .. De beaux exemples pour que les gamins aient envie d'aimer les flics !
Pourtant, il paraît que la police est payée avec nos impôts pour assurer la sécurité aux citoyens. Chez nous, dans les quartiers populaires, elle provoque surtout l'insécurité et creuse encore plus le fossé qui existe déjà entre ses habitants et la République.
Nadir Dendoune
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