La chronique du Tocard. I love you
La première fois qu'une nana m'a dit je t'aime, c'était comme un tonnerre d'applaudissements, comme si je recevais l'oscar du meilleur acteur tellement j'étais honoré et submergé de bonheur. Sur le coup, j'avais été surpris. Et gêné comme pas possible que j'avais pris la poudre d'escampette en entendant cet I love you. Comme ça ne m'était jamais arrivé, j'avais eu besoin de digérer.
C'était pas sorti de la bouche d'une Française, faut pas rêver ! Ce qui est bien dommage et si cela avait été le cas, je serais sans doute resté au pays, mais c'était les mots d'une australienne.
A Sydney, je profitais tous les jours
du cadre paradisiaque qui m'était offert : les plages de sable fin, le ciel bleu, les pubs, les nombreux parcs… J'étais heureux de me trouver à l'autre bout de la terre, à 17000 kilomètres de Douce France, cher pays de mes souffrances. J'avais trouvé essentiel de me dégager d’un environnement hexagonal qui finissait par m'intoxiquer et mon exil en Australie m'allait comme un gant.
Alors que j'avais grandi entouré de béton et que j'usais mes baskets à taper dans un vieux ballon de football en bas des tours, ma dulcinée, une belle brune aux cheveux bouclés, filait, après avoir fait ses devoirs, à la plage surfer. On était tellement différents tous les deux : j'avais mûri dans la haine, habitué à la dureté des relations humaines, quand elle, avait germé dans la paix, mais l'amour était capable de tout et il avait réussi à se frayer un chemin entre nous deux.
J'avais la vingtaine bien entamée et je vivais avec joie cette première histoire amoureuse sérieuse avec quelqu'un, même si je faisais très amateur. Heureusement que ma nana de l'époque avait le mode d'emploi et qu'elle assurait pour deux.
Avant elle, je n'avais connu que des aventures d'un soir, des coups par ci par là, des histoires sans lendemains. Parfois, il arrivait que cela dure quelques jours mais jamais plus. Ce n'était jamais en France mais toujours à l'étranger, des nanas que je rencontrais au gré de mes voyages. Pas de quoi remplir un coeur.
Au pays, en France, j'avais la côte Wallou. Que dalle. Les Blanches me snobaient avec une force titanesque à cause du bruit et l'odeur et avec les Maghrébines, c'était compliqué. Je n'étais pas à l'aise parce qu'elles me rappelaient mes sept frangines. Et je crois qu'elles avaient du mal aussi avec nous pour les mêmes raisons.
Ma chérie de l'Australie n'en avait cure. Elle portait sur moi un regard neuf, bienveillant, sans méfiance et enfin sans condescendance. Alors, les choses s'étaient faites naturellement entre elle et moi. C'est même elle qui m'avait dragué. Je croyais rêver. Avec elle, j'avais l'impression d'être un beau gosse. Je me sentais valorisé à ses côtés.
Pour elle, j'étais juste Nadear. Un "Frenchy from Paris". Elle m'aimait pour ce que j'étais mais aussi pour cette belle image exotique que je véhiculais. Elle était folle de moi, dingue de ce que je représentais.
Pour ma chérie, la France était le pays des droits de l'Homme, des Lumières. La terre de l'amour, de la mode, de la bonne bouffe, du fromage, du bon vin.
Elle ne faisait pas la différence entre ma bonne bouille d'arabe et celle de Guillaume Canet. Elle ne connaissait rien de mes origines non contrôlées, même si j'avais évoqué avec elle plusieurs fois mes racines algériennes.
D'ailleurs, comme beaucoup de ses compatriotes, elle ne savait même pas où se trouvait l'Algérie.
Elle n'était surtout pas au courant des rapports conflictuels qui existaient entre la France et son ancienne colonie. Je profitais de mon nouveau statut d'occidental à la sauce blanche à la réputation romantique. En Australie, je n'étais plus ce Bicot de banlieue qui viendrait arracher le sac des vieilles dames. Non, rien de tout ça. Et bordel, qu'est ce que ça faisait du bien !
Ça me reposait d'être avec elle.
Un bol d'air à chaque fois. On se tenait même la main, un truc que je n'étais jamais arrivé à faire auparavant. On allait se balader sur le bord de plage en amoureux. On pique-niquait. Il nous arrivait même de faire l'amour en pleine nature. C'était bien la première fois que j'avais des rapports normaux avec une demoiselle. Pour elle, je n'étais ni une petite frappe en puissance, ni une pauvre victime du système qu'il fallait prendre par la main pour traverser la route. Ce premier "I love you" avait été d'une saveur particulière qui allait changer bien des choses dans mes rapports avec l'autre.
En entendant que l'amour venait frapper à ma porte, ça m'avait fait bizarre sur le coup et j'avais pris peur. Pour cacher ma frousse, j'avais rigolé à haute voix à n'en plus finir. J'avais cru qu'elle se foutait de ma poire. Et je m'étais sauvé la minute d'après. Elle avait essayé de me rattraper. En vain. Mais à l'intérieur j'étais heureux. De fou. Elle avait dit I love you Nadear plusieurs fois. Elle ne s'arrêtait pas de le dire et elle pleurait des larmes d'amour.
Ça faisait quelques temps qu'on se fréquentait elle et moi et ma compagnie lui plaisait de plus en plus alors elle avait trouvé logique d'aller plus loin dans l'aventure du cœur en levant le doute sur ce qu'elle ressentait pour moi. Et elle attendait que j'en fasse autant.
Elle attendait un retour mais j'avais pas su quoi répondre. Elle me trouvait un peu distant avec les mots tendres, une gêne et une pudeur à lui dire ce que j'éprouvais pour elle. Elle se disait que ça viendrait, qu'il fallait laisser le temps au cœur. Et puis, ça la changeait un peu de ses ex petits copains, qui abusaient tellement des I Love you qu'elle avait l'impression qu'ils ne valaient plus grand chose. Elle voyait bien qu'au fond, j'avais un torrent d'amour à revendre.
Son I love you n'était pas juste un Je t'aime anodin. Il allait me donner confiance. Son I love you allait m'émanciper. Certes, notre histoire n'a pas duré parce que l'amour a ses limites mais l'essentiel était ailleurs. Cette fille, ce premier amour allait enlever une grande partie de la haine qui s'était accumulée en moi toutes ces années. Cet I love you d'une qualité supérieure allait faire de moi un être aimable, m'ouvrant ainsi tous les horizons.
Nadir Dendoune
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