La chronique du Tocard. Amine

 La chronique du Tocard. Amine


Je m'appelle Amine Bentounsi, je suis mort à 28 ans. C'est jeune, je sais. Au début d'une vie. J'aurais pas dit Non à quelques années de plus, même si mon existence, c'était pas l'Eldorado tous les jours. 


Au fond de moi, j'ai toujours su que ça se finirait mal. Mais, jamais, je n'aurais pensé que j'allais crever de la sorte. Comme un chien, sur le bitume. Ma vie, je l'ai vécu en pointillés. Par bribes. Une vie à essayer de trouver une porte de sortie. 



J'ai bien aimé la phrase du juge me concernant : "Il n'y a pas de bonne et de mauvaise victime. Il y a juste la mort d'un homme". C'est vrai : personne ne mérite de mourir comme ça.  



J'ai été abattu d'une balle dans le dos par un gardien de la paix qui n'avait rien à faire dans la police, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec, alors que j'étais posé dans un café. Aujourd'hui, après ses deux procès, j'en sais un peu plus sur lui. J'ai été tué par un looser. Mal noté à l'école de police, il avait raté deux fois son CAP. Merde. Manquait plus que ça ! Ça change rien au fond, mais quand même. En même temps, qui d'autre qu'un minable peut abattre quelqu'un de dos ? Filer une arme à un mec comme lui, en fait, c'était totalement irresponsable. 



Ce 21 avril 2012, le flic a paniqué. Il voyait bien qu'il n'allait pas pouvoir me rattraper alors il a tiré. Un peu n'importe comment. Il a tiré quatre balles. Il y en a une qui est partie se loger dans le bas d'une voiture. Elle aurait pu être fatale au conducteur. Je suis heureux qu'elle ne l'ait pas touché. Il y en a deux autres dont on n'a jamais retrouvé la trace. Il paraît qu'elles se sont perdues dans le ciel. Mais l'une d'entre elles m'a été fatale. Les toubibs ont dit qu'à quelques millimètres près, je serais toujours en vie. C'est souvent le cas. Ça tient à rien, la mort. Ce jour-là, il aurait dû me laisser partir. Mais je suis sûr qu'il pense que j'ai eu ce que je méritais. 



Ce jour-là, j'ai préféré m'enfuir que de me rendre en les voyant arriver. Ils étaient trois flics. Celui qui m'a tué attendait dans la voiture. Ses collègues lui avaient dit : "Tu bouges pas". A l'école de police, ils apprennent qu'il faut intervenir en équipe. Ça se comprend. Mais, lui, il n'en a fait qu'à sa tête.





Alors, il a fait le tour du pâté de maison et il s'est retrouvé face à moi. J'ai fait demi-tour en le voyant, et j'ai couru et couru comme je ne l'avais jamais fait auparavant. Il a dit que je l'avais braqué, mais il ment. Il est le seul à le dire. Un de ces collègues l'a dit aussi d'abord mais il a fini par avouer qu'il avait menti. Tous les témoins m'ont vu m'écrouler sur le sol face contre terre. Ce jour-là,  je voulais juste partir. 



Depuis deux ans, j'étais recherché par la police parce que j'avais décidé de ne pas rentrer de permission. C'était pas malin, c'est vrai mais j'avais besoin de ma liberté. Je ne voulais pas retourner dans ma cellule. Je courais et je courais. Vite. Avec force. Je pensais à ma fille. J'avais prévu de la retrouver le soir même. Ça me donnait du courage. Depuis deux ans donc, j'étais dehors. Heureux. Je voyais ma fille tous les jours. Je la voyais grandir. Je la voyais sourire. Je la voyais s'endormir. J'avais presque oublié que j'étais un fuyard. 



J'aurais du jouer le jeu. Accepter de retourner au cachot. Finir ma peine. Surtout qu'il ne me restait pas grand chose. A peine quelques mois. Mais ma soif de liberté était trop grande. Comprenez-moi : la prison, je n'ai connu que ça. Depuis l'âge de 13 ans, je fais des allers-retours en taule.



J'ai 13 ans et on me vire de mon collège. J'habite Meaux, en Seine-et-Marne. Je traîne dans la rue où je fais des mauvaises rencontres. Ils sont plus grands que moi alors je les vois comme des modèles. Ils m'emmènent avec eux un peu partout. On rigole bien j'avoue.



Un jour, on met le feu dans une poubelle et le feu se propage dans une école. Bien sûr que c'est grave mais ce jour-là, il n'y a pas de blessés. Le juge oublie que je ne suis qu'un gamin et que je n'ai fait que suivre le groupe. Il m'envoie à Fleury-Mérogis. J'ai 13 ans et je deviens le plus jeune détenu de France. 



Avec le recul, je n'ai jamais compris pourquoi on m'avait foutu à cet âge-là derrière les barreaux. J'aurais dû être placé ailleurs, avec des adolescents de mon âge, entouré d'éducateurs. Pas jeté en pâture avec des braqueurs et des violeurs. Pas à cet âge-là. Non, on ne fait pas ça à un enfant.  La vie, le crime, je l'ai appris à l'intérieur. Ils m'ont tué une première fois à l'âge de 13 ans. En sortant de prison, j'étais détruit à l'intérieur. J'ai replongé vite dans la délinquance. 



Aujourd’hui, je sais que beaucoup pensent que j'ai mérité mon sort et que je n'ai rien fait pour m'en sortir. Mais j'ai essayé. Peut-être, pas assez. Peut-être pas comme vous auriez aimé. Mais j'ai essayé. On ne m'a jamais montré le mode d'emploi. On ne m'a jamais dit comment me réinsérer. On n’a fait que me punir. 



Pour vous dire que j'ai essayé de changer de route, je suis même allé jusqu'à me renier. A 15 ans, j'ai fait des démarches pour changer de prénom. Pour me donner une chance d'avoir un nouveau départ. Je ne voulais plus m'appeler Amine, mais Jean-Pierre. Avec mon passé de délinquant, je me suis dit que ça pouvait aider d'avoir un prénom de "Français".  





Maintenant, c'est fini. Il n'y a plus que les larmes. Il n'y a plus que les regrets. Les remords. La seule satisfaction que j'ai trouvée dans ma mort, c'est d'avoir vu à quel point les miens m'aimaient. 



Et puis, j'ai découvert la force d'Amal. Ma grande sœur. Elle est impressionnante. 



Elle a toujours été à mes côtés. Elle m'a élevé comme son fils. Souvent, de là-haut, je la vois pleurer. Et je m'en veux. Je l'aime tellement, ma frangine. Je sais qu'elle pense qu'elle est un peu responsable de ce qui m'est arrivé. C'est Amal qui m'avait convaincu de faire une demande de permission. Elle se trompe. Même si j'étais en cavale, j'ai vécu les deux plus belles années de ma vie. 



Moi, je pense qu'en me fourrant sa balle à proximité de ma colonne vertébrale, le flic, responsable de ma mort, a voulu se venger. Se venger de sa vie minable, de ses frustrations. Il s'est servi de ma vie pour devenir un héros. Il me voyait courir et courir. Il me voyait distancer ses collègues et ça, il ne l'a pas supporté. Il s'est dit : "abattre un délinquant multirécidiviste comme moi, ça vaut pour sûr une médaille". 



Je m'appelle Amine Bentounsi. Je suis mort à 28 ans un 21 avril 2012. On aurait pu en rester là. Manque de pot pour celui qui m'a tué, je suis le frère d'une grande dame. Je suis le frère d'Amal Bentounsi. Grâce à elle, grâce à sa persévérance, grâce à son courage, un policier a été condamné. Certes, à une peine symbolique, mais la cour a reconnu qu'il n'y avait pas eu de légitime défense. Oui, il m'a abattu comme un chien. Et pour la première fois, avec ce verdict, je me suis senti exister.   


Nadir Dendoune


La chronique du Tocard. La gauloiserie pour tous (07-03-2017)


La chronique du Tocard. Les femmes, les Noirs et les Arabes (28-02-2017)


La chronique du Tocard. Police (21-02-2017)


La chronique du Tocard. Nos plumes énervées (14-02-2017)


La chronique du Tocard. Maman, tu sais … (7-02-2017)


La chronique du Tocard. Ma rage de vaincre (31-01-2017)


La chronique du Tocard. Jeune de Banlieue (24-01-2017)


La chronique du Tocard. Quand on veut on peut : Toz (17-01-2017) 


La chronique du Tocard. Ma conscience de pauvre (10-01-2017)


La chronique du Tocard. Victor Moustache Newman (03-01-2017)


La chronique du Tocard. Le Roumi (27-12-2016)


La chronique du Tocard. Papa Gnouël (20-12-2016)


La chronique du Tocard. Salah (13-12-2016)


La chronique du Tocard. Rania (6-12-2016)


La chronique du Tocard. Si maman était présidente (29-11-16)


La chronique du Tocard. "Lui, là" (22-11-2016)


La chronique du Tocard. Nos parents (15-11-2016)


La chronique du Tocard. Le journaliste (8-11-2016)


La chronique du Tocard. Le militant (1-11-2016)


La chronique du Tocard. Le Noir (18-10-2016)


La chronique du Tocard. Le Juif (11-10-2016)


La chronique du Tocard. Le Blanc. (04-10-2016)


La chronique du Tocard. Le Bougnoule (27-09-2016)


La chronique du Tocard. A l’école de la République (13-09-2016)


La chronique du Tocard. Si j'étais papa… (06-09-2016)


La chronique du Tocard. La Chambre 112 (30-08-2016)


La chronique du Tocard. Madame la France (23-08-2016)


La chronique du Tocard. La communautarisation des chagrins (16-08-2016)


La chronique du Tocard. Voleur un jour… (09-08-2016)


La chronique du Tocard. L’école arabe (02-08-2016)


La chronique du Tocard. Inchallah, tu vas guérir (26-07-2016)


La chronique du Tocard. Mes souvenirs de colos (19-07-2016)


La chronique du Tocard. L'opium du peuple (12-07-2016)


La chronique du Tocard. Je t’aime moi non plus (05-07-2016)


La chronique du Tocard. L’ascenseur de madame Dendoune. (28-06-2016)


La chronique du Tocard. Les ramadans de ma mère (20-06-2016)


La chronique du Tocard. L’homophobie n’a pas de religion (14-06-2016)


La chronique du Tocard. De l'eau du robinet seulement (07-06-2016)


La chronique du Tocard. La tête de mon père (31-05-2016) 


La chronique du Tocard. Nos rêves de pauvres (24-05-2016) 


La chronique du Tocard. Coup de foudre à Ighil Larbaa (17-05-2016)


La chronique du Tocard. Maurice Sinet (10-05-2016)


La chronique du Tocard. L'Humanité et les épluchures de ma daronne (03-05-2016)


La chronique du Tocard. Pour une poignée de dinars (26-04-2016)


La chronique du Tocard. Bandougou (19-04-2016)


La chronique du Tocard. Ma cité Maurice Thorez (12-04-2016) 


La chronique du Tocard. Le premier Skype avec ma daronne (05-04-2016)


La chronique du Tocard. Le sherpa blanc (29-03-2016) 


La chronique du Tocard. Les silences de ma mère (22-03-2016)


La chronique du Tocard. Nous les Juifs, on a rien demandé. (15-03-2016)


La chronique du Tocard. Bwana est mort, vive Bwana (08-03-2016)


La chronique du Tocard. Lolo (01-03-2016)


La chronique du Tocard. A deux doigts de tout lâcher (23-02-2016)


La chronique du Tocard. La revanche (16-02-2016)


La chronique du Tocard. Les lettres de Mohand Arezki (09-02-2016)


La chronique du Tocard. L'absent (02-02-2016)


La chronique du Tocard. Elsa et Salah (26-01-2016)


La chronique du Tocard. Amal (19-01-2016)


La chronique du Tocard. La dernière séance (12-01-2016) 


La chronique du Tocard. Aïcha, notre pépite. (05-01-2016) 


La chronique du Tocard. L'école de la République (29-12-2015)


La chronique du Tocard. Le jour où j'ai commencé à lire (22-12-2015)


La chronique du Tocard. L'indulgence (15-12-2015)


La chronique du Tocard. « Sale Français ! » (08-12-2015) 


La chronique du Tocard. La poésie de maman (01-12-2015)


La chronique du Tocard. Sabrina… (24-11-2015)


La chronique du Tocard. Chaque fois un peu moins (17-11-2015)


La chronique du Tocard. Bûche (10-11-2015)


La chronique du Tocard. Les mots comme les oiseaux (03-11-2015)


La chronique du Tocard. Des trous de souvenirs (27-10-2015)


La chronique du Tocard. Les larmes de Shaina (20-10-2015)


La chronique du Tocard. Mon frère (13-10-2015)


La chronique du Tocard. Le regard des siens (06-10-2015)


La chronique du Tocard. Son petit Gnoule à elle (29-09-2015)


La chronique du Tocard. Les 60 piges de ma frangine (22-09-2015)


La chronique du Tocard. L'amour Fakebook (15-09-2015)


La chronique du Tocard. Quand le cœur déménage… (08-09-2015)


La chronique du Tocard. De se cogner mon coeur doit prendre son temps (01-09-2015)


La chronique du Tocard. Lou Bric Bouchet mon amour (25-08-2015)


La chronique du Tocard. L'amour en voyage (18-08-2015)


La chronique du Tocard. Le bordel de ma vie (11-08-2015)


La chronique du Tocard. Patrick Dendoune (04-08-2015)


La chronique du Tocard. La femme est un homme comme les autres (28-07-2015) 


La chronique du Tocard. Une bouteille à la Seine (21-07-2015) 


La chronique du Tocard. Sans son Gnoule (14-07-2015)


La chronique du Tocard. L'amour à travers le Mur – Suite et fin (07-07-2015)


La chronique du Tocard. Baumettes et des lettres (30-06-2015)