Youness Bourimech : La locomotive de la Seine-Saint-Denis

Youness Bourimech, entrepreneur français d’origine marocaine, à la tête de plusieurs entreprises et du restaurant Majaz à Saint-Denis.
Il est 18 heures. Les températures avoisinent les 5 degrés. Glacial. Le soleil commence à baisser, et la ville de Saint-Denis s’éveille tout doucement, comme un géant qui s’étire. Mais le restaurant Majaz, ouvert depuis décembre dernier, ses 100 couverts et ses deux salles privatives, est encore calme, suspendu dans l’attente. Youness Bourimech, le patron, nous accueille avec ce sourire qui dit tout. Il nous confie, presque avec une lueur de défi dans les yeux : « Dès qu’on passe le seuil, on est au Maroc. »
Ce vendredi 7 mars, la rupture du jeûne se fait à guichet fermé. « Je ne m’attendais pas à voir autant de Dionysiens. Et puis, il y a les touristes aussi, la basilique de Saint-Denis est le 5ᵉ site le plus visité d’Île-de-France », s’enthousiasme le patron de l’établissement.
Situé entre la majesté de la basilique et l’agitation du métro, le lieu semble marquer une pause avant le tourbillon qui va l’envahir. Les hauts plafonds et le décor raffiné, avec ses zelliges venus tout droit de Marrakech et ses luminaires faits main, sont encore frais. Le restaurant n’est pas simplement marocain, il est une invitation à l’évasion, à la promesse d’un ailleurs.
Youness, véritable passionné, a voulu que ce lieu soit un écrin, un espace de liberté. « Je voulais que les gens aient de l’espace pour manger. Trop souvent, je me suis senti oppressé dans des endroits trop étroits », nous confie-t-il, tout en parcourant les tables avec ce regard avisé de celui qui a vu grandir son projet.
Avant d’être un entrepreneur à succès, Youness Bourimech, né à Livry-Gargan, poussé à Bondy, a été un bosseur. Acharné. Très tôt, il a compris que l’argent ne tombe pas du ciel, surtout quand on vient de Bondy et qu’on a la dalle de réussir. Pendant ses vacances, il récurait des bureaux pendant que d’autres faisaient des ploufs à la piscine.
À 16 ans, il devient entraîneur de handball : « Ça m’a appris à gérer des gens, et surtout, à ne pas lâcher », se souvient-il. Il tente la fac, un bac commercial en poche, mais se lasse vite. Un an et demi en STAPS et il envoie tout balader. « Ça ne me plaisait pas, alors j’ai arrêté », dit-il sans sourciller.
À 21 ans, il ne tergiverse pas et monte sa première boîte, Be Clean, avec son père et sa sœur. Une société de nettoyage qui tourne encore aujourd’hui avec une trentaine d’employés. Et ce n’est qu’un début. Puis il enchaîne : une boîte de bâtiment, une pépinière d’entreprises, deux restos, etc. À Bondy, il ouvre L’Atelier, un restaurant de cuisine française, et Le Petit Atelier, qui carbure aux burgers et aux bagels.
En tout, à ce jour, neuf entreprises, trois restos donc, une société de démolition, une boîte de promotion immobilière, de conseil…
À 18 h 30, les premières silhouettes arrivent, comme des éclats de vie qui s’ajoutent à l’atmosphère. Le restaurant se remplit lentement, et l’air commence à vibrer de conversations. Les serveurs, avec leur accent chantant, apportent des plats parfumés, des salades d’houmous, de mechouia, suivis par les tajines, les grillades et les couscous, des mets qui enchantent les sens.
À 18 h 44, l’animation est palpable. Le soleil s’éteint, mais la ville s’embrase d’une énergie nouvelle, et la rupture du jeûne attire une foule joyeuse, pleine de rires et de partages. Les clients peuvent enfin manger !
Et les vendredis et samedis, on pousse les tables, place à la musique pour les concerts. Même la mairie de Saint-Denis applaudit. « Avoir un restaurant de qualité, ça montre que la ville évolue », glisse Shems El Khalfaoui, maire adjoint aux sports, sous le regard satisfait de Youness.
À 20 h, la magie opère. L’ambiance est électrisée. La musique des concerts du week-end résonne et se mêle aux éclats de rire, comme un écho de cette vie vibrante.
À 21 h, la soirée atteint son apogée. Les clients sont heureux, les serveurs dansent presque sur le rythme de l’effervescence, et Youness, toujours discret, fait un petit tour parmi les tables, vérifiant que tout va bien.
Il est là, jamais loin de son projet, de ses ambitions. « Nous sommes quatre enfants. Je suis le second de la famille », dit-il avec une touche de fierté. « Le premier garçon, parmi mes deux sœurs. J’ai appris à ne jamais lâcher. »
Il adore voyager. Le Maroc, le pays de ses parents, occupe une place spéciale dans son cœur, un endroit qu’il aime retrouver régulièrement pour se ressourcer et nourrir ses racines.
« Le Maroc, c’est un endroit où je me sens connecté à mes origines, où je vais souvent pour m’oxygéner », explique-t-il, rappelant qu’il est originaire de Berkane, à la frontière algérienne.
Malgré les tensions politiques entre les deux pays du Maghreb, il préfère entretenir des ponts avec ses amis algériens : « La politique, c’est une chose, l’amitié, c’en est une autre. »
Youness Bourimech aime aussi passionnément le sport. Il a vécu les derniers JO de l’intérieur. Il a encore les yeux qui brillent quand il en parle. Il fut conseiller spécial de Tony Estanguet, le patron de Paris 2024, pendant plus de cinq ans. Un rôle dans lequel il a défendu la Seine-Saint-Denis et les quartiers populaires. « Nous avons obtenu 600 millions d’euros pour les entreprises du 93 », scande-t-il fièrement.
Youness Bourimech est aussi un homme de réseau. Il est secrétaire de la Chambre de commerce et administrateur à la SEM (société d’économie mixte) de Plaine Commune, œuvrant sans relâche pour la création d’entreprises dans les quartiers prioritaires. Son objectif est simple et limpide : « Que ça profite à ceux qui ont toujours été là. »
Il met son réseau – il entretient de bonnes relations avec plusieurs patrons du CAC 40 –, son influence – il connaît les principaux politiciens du département –, au service des autres, pour que les projets qu’il soutient bénéficient à tout le monde. Niveau projet, il se verrait bien ouvrir un restaurant marocain à New York et on peut compter sur lui pour qu’il aille au bout.
Dans la vie, il y a donc ceux qui regardent les trains passer et ceux qui conduisent la locomotive. La sienne, c’est la Seine-Saint-Denis, et elle avance à grande vitesse. Lui ne s’arrête jamais, toujours en mouvement. Convaincu que son territoire est un terreau fertile pour l’avenir, il voit un département promis à un essor économique majeur.
« La Seine-Saint-Denis, c’est le futur », affirme-t-il inlassablement. « C’est génial de valoriser les énergies positives d’ici. Il y a tellement de gens avec une énergie folle, c’est ça qu’il faut mettre en avant, casser les clichés. Pour moi, défendre son équipe, son territoire, c’est essentiel. »
Après une journée bien remplie, alors que la soirée s’éteint dans son tout nouveau restaurant, Youness nous confie, presque dans un souffle : « Quand je ne travaille pas, je trouve mon havre de paix au canal de l’Ourcq, un endroit où l’on peut respirer. » Un lieu, toujours dans le 93, qu’il fréquente depuis l’enfance et qu’il fait découvrir aujourd’hui à ses enfants.
Papa comblé d’une fille de 14 ans et d’un garçon de 11 ans, Youness Bourimech savoure chaque instant avec eux. « Le fait de vivre et de travailler en Seine-Saint-Denis me permet d’emmener mes enfants à l’école. La vraie richesse, c’est ça », conclut-il avec fierté.
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