Yasmine Mecibah, directrice de cabinet passionnée et passionnante

 Yasmine Mecibah, directrice de cabinet passionnée et passionnante

Yasmine Mecinah (DR)

Souvent en retrait, les conseillers et directeurs de cabinet n’accordent leurs interviews qu’au compte-gouttes. Pour le Courrier de l’Atlas, Yasmine Mecibah, co-présidente de l’association Dircab et directrice de cabinet de Saint-Genis-Pouilly (Ain), a accepté d’évoquer son métier et son parcours à cette fonction hautement politique.

Une rapide recherche au sein de l’organigramme du gouvernement fait ressortir une évidence. La plupart des hommes et femmes politiques de premier plan sont passés par la fonction de directeur de cabinet ou conseiller politique. Jugez plutôt : Emmanuel Macron, Jean Castex, Bruno Lemaire, Gabriel Attal, Jean-Michel Blanquer, etc…

Derrière cette fonction, se cachent des véritables bourreaux de travail. De la construction d’un groupe scolaire à la gestion du personnel municipal, ils (ou elles) conseillent le personnel politique. « Notre vocation est d’être dans la discrétion, nous indique la directrice de cabinet Yasmine Mecibah. Notre rôle est de conseiller et de veiller à la bonne mise en oeuvre les politiques voulues par les élus. On contribue à l’unité de l’équipe municipale, à l’écriture des discours mais aussi à faire attention à tout ce qui peut toucher le maire. »

Aussi, l’exercice de l’interview est nouveau pour cette trentenaire. plus habituée à l’ombre qu’à la lumière. Après avoir été vice-présidente, elle est devenue, co-présidente de l’association Dircab (association des directeurs de cabinet des collectivités territoriales à direction socialiste et républicaine). Elle regroupe en son sein les collaborateurs et collaboratrices d’élu.e.s. et permet d’échanger des informations sur de nouvelles lois ou directives, des initiatives mais aussi des offres d’emploi « Aucun directeur de cabinet ne fait le même travail. Tout dépend de la relation avec l’élu et le champ de compétences qui lui est attribué. Il peut être conseiller, stratège, écrivain de discours politiques, exécutant, expert juridique, etc…C’est une fonction polyvalente !  »

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Dunkerque et son bout de « Ch’nord »

Née à Dunkerque il y a 38 ans, Yasmine Mecibah se dit fière d’être « ch’tie ». Elle se sent appartenir à cette culture du Nord de la France, « un territoire méconnu, rempli de belles valeurs humanistes où les mélanges entre classes populaires et les autres se font presque naturellement. »

4ème et dernière enfant d’un couple d’immigrés algériens, elle a vécu dans le Nord une large partie de sa vie. Son père, venue de Kabylie, s’installe d’abord en Alsace, comme commerçant ambulant. Après un aller-retour en Algérie, il ouvre finalement un café-restaurant à Dunkerque. A l’adolescence, Yasmine Mecibah sent qu’elle peut être utile dans son quartier populaire. Elle s’implique dans l’associatif. Ses combats : le racisme mais aussi la défense de sa culture d’origine berbère.

Quand son père tombe malade, elle partage alors sa vie entre Lille, où elle étudie du droit et Dunkerque, où son père réside. « J’ai découvert la politique avec cette homme qui était un passionné de la chose publique et d’histoire, nous explique la trentenaire. A 13-14 ans, je restais près de lui pour écouter les débats et les informations. Il m’expliquait l’arrière du décor et je trouvais ça passionnant. Ca a sans doute contribué à forger ma culture politique sans que je m’en rende compte. »

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Premiers armes à Lille

Passionnée par le monde artistique et musicale, elle se voit avocate. Elle se forme aux questions de propriété intellectuelle et de nouvelles technologies. Pour payer ses études, elle travaille à la mutuelle étudiante, SMENO. Malgré toute sa bonne volonté et découvrant la discrimination ethnique à l’embauche, elle a du mal à trouver un stage de fins d’études. « Avec 14 étudiants de ma promotion, nous avons fait le test. J’étais la seule à avoir des réponses négatives. »

Sans se démonter, elle prend son courage à deux mains. Au « bagout », elle s’ouvre les portes de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) à Lille. Passant son temps au bureau, cette hyperactive s’ennuie quelque peu. Elle veut refaire du terrain. Une rencontre avec un chef d’entreprise à Lille la pousse à diriger l’association Synergie qui lutte contre les discriminations à l’embauche dans la région.

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Discrimination à l’embauche, un combat qui lui tient à coeur

Ayant vécu cette situation, elle prend attache avec des chefs d’entreprises, des hommes et femmes politiques, et tente alors de comprendre les blocages. « Le milieu professionnel m’a fait rencontrer des personnes bienveillantes en général, nous indique Yasmine Mecibah. Je ne pensais pas qu’il y avait autant de stigmatisation. La plupart du temps, nous faisons face à des stéréotypes de personnes qui ont le pouvoir de recruter ou pas. Ca ne vient pas forcément de toute l’entreprise. Il peut suffire d’un DRH pour que ça bloque. »

Malgré les chartes de la diversité et les actions concrètes de chefs d’entreprises, elle constate que « la discrimination ethnique existe et intéresse peu de monde. Mon observation est que c’est souvent lié au taux de chômage aussi. Dans la région où je suis actuellement, près de la Suisse, les embauches sont plus élevées. La question ne se pose pas. Ca recrute ! »

Lors d’une réunion avec les acteurs associatifs et la secrétaire d’Etat à la ville, Fadela Amara, elle bouscule le Landerneau politique sur place. La préfète de la région Hauts-de-France et du Nord la remarque et lui propose un poste de déléguée sur la ville de Dunkerque notamment. Elle y reste deux ans.

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Des débuts difficiles avant de découvrir un métier passionnant

En 2010, après plusieurs hésitations, elle fait une expérience en tant que directrice de cabinet d’une ville du Nord. Un début dans ce métier qu’elle a du mal à apprécier, surtout que celui-ci intervient juste après la mort de son père. Un peu déçue, elle, qui commence par se dire que la « politique n’est pas faite pour elle », pose son CV sur le site de Dircab.

Elle reçoit plusieurs propositions et opte pour Saint-Genis-Pouilly, une commune de l’Ain de 14 000 habitants qui présente la particularité d’être frontalière avec Genève. Une ville de gauche au sein du Pays de Gex avec un taux de croissance de 5 à 6% par an. « On construit une école par mandat, dit fièrement Yasmine. Une grande partie de l’Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire (CERN) est sur notre commune. 3 quartiers sont sortis de terre depuis que je suis ici. J’ai la chance de contribuer à dessiner une ville et à observer l’efficacité d’une politique sur la vie des gens. « 

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Un maître mot entre l’élu et son dircab : la confiance

A l’aise dans cet environnement, elle accompagne le maire Divers Gauche, Hubert Bertrand depuis 10 ans. « La première condition sine qua non, pour que la relation maire-directeur de cabinet marche, c’est la confiance. Il faut avoir la même vision de la politique et de la société. J’ai besoin que l’élu de gauche soit dans la volonté de solidarité, de fraternité, d’égalité des chances et de culture pour tous. On doit pouvoir aborder toutes les questions de société même les plus dures comme la sécurité mais avec un prisme solidaire. »

Si des membres de cabinet deviennent à leur tour élus, cela dépend selon elle, des parcours de vie de tout un chacun. « Nous sommes sur des métiers atypiques, qui dépendent de l’élection du maire. On peut aussi être élu pour certains mais d’autres optent pour le consulting, les relations publiques, etc.. Le métier a changé. Il est plus technique dorénavant. On avait à faire à des militants politiques du sérail. Aujourd’hui, les parcours sont différents (juristes, journalistes, etc..) et sont souvent complémentaires avec l’élu. »

Même si elle avoue un amour pour le chocolat, elle s’est mis petit à petit, « et non sans mal (rires) à la randonnée« . Vivant toujours de passions, elle a créé avec une amie, une association culturelle berbère du Grand Genève, un territoire où s’entrechoquent des cultures du monde entier pour la joie de ses habitants. « C’est palpitant de voir ce qu’il se passe dans cette région. De la jaune mer du Nord aux belles montagnes d’ici, je mets en lumière la civilisation amazighe dans une ville avec de nombreuses différences. J’essaie ainsi de transmettre mon amour pour notre histoire commune. »