Y a-t-il un froid diplomatique entre la Tunisie et l’Algérie ?
Si la stratégie du silence gouvernemental en matière de communication institutionnelle en Tunisie complique le travail des médias, un récent faisceau d’indices permet néanmoins d’établir qu’il existe bien un malaise diplomatique entre la Tunisie et « le grand frère » algérien.
Vendredi 18 août 2023, le président de la République, Kaïs Saied recevait son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a brièvement annoncé le Palais de Carthage dans un communiqué, pour s’enquérir du « bilan de la visite » du ministre à Alger. La présidence de la République a aussi fait savoir que Saïed et le chef de la diplomatie tunisienne avaient abordé le sujet du prochain Sommet des BRICS, ce qui est en soi une indication qu’une future demande d’adhésion de la Tunisie, quoique peu réaliste, sert ici d’acquiescement tunisien implicite à une demande d’Alger en ce sens.
De son côté le ministère tunisien des Affaires étrangères a également annoncé que Ammar avait été missionné par Kaïs Saïed pour rencontrer le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Aucune photo n’a cependant filtré de cette rencontre, même si l’on peut voir sur la page du ministère tunisien une photo de Nabil Ammar avec son homologue algérien.
En revanche, pas la moindre phrase ni publication d’aucune institution algérienne faisant état de la visite. Ni la présidence de la République algérienne, ni le ministère algérien des Affaires étrangères n’en ont fait état, en dehors d’une mention dans le journal télévisé de la Télévision publique algérienne. Ce mutisme inhabituel, pour qui connaît le subtil fonctionnement des autorités algériennes, suscite aujourd’hui des débats indignés en Tunisie, où des commentateurs incrédules, proches des arcanes de la diplomatie, formulent plusieurs hypothèses.
La grand-messe du triptyque européen à Tunis a déplu à Alger
C’est un secret de polichinelle, l’accord qualifié « d’historique » signé en Tunisie par Kais Saïed et le trio Giorgia Meloni, Mark Rutte, et Ursula von der Leyen, n’a pas été vu d’un bon œil par le pouvoir algérien, et ce pour de multiples raisons.
En pleine réhabilitation de son pouvoir géopolitique, forte de l’insolente santé de ses exportations ces dernières années mais aussi de sa politique de réarmement et de la répression réussie de toute velléité d’opposition nationale affiliée au Hirak, Alger se voit comme seule puissance régionale digne de ce nom. Au moment où trois poids lourds des chancelleries européennes sont invités à Tunis pour discuter de questions cruciales engageant l’avenir migratoire de toute la méditerranée, ne pas être consulté est perçu comme un affront par Alger qui a boycotté ces pourparlers y compris dans les médias algériens.
Inexpérimenté et visiblement obnubilé par cette volonté de puissance algérienne, le président Saïed s’était dès l’entame de son mandat présidentiel mis sous une sorte de tutelle de l’Algérie qui ne dit pas son nom. Une posture par laquelle Saïed sert ses intérêts à domicile (via un axe autoritaire Tunis – Alger), la Tunisie restant par ailleurs financièrement tributaire de l’Algérie. A plusieurs reprises depuis, l’avenir politico-économique de la Tunisie était souvent discuté avec d’autres pays étrangers précisément à Alger.
Véritable rupture avec des décennies de tradition tunisienne de neutralité diplomatique, cette mise sous tutelle volontaire de Saïed a connu sa consécration en août 2022, lorsque le président tunisien avait reçu en grande pompe Brahim Ghali, le chef de l’entité séparatiste Polisario. Dans ces conditions, Tebboune conçoit d’autant moins l’incartade tunisienne du pacte tuniso-européen que cet accord contrevient aux grandes lignes de la politique étrangère algérienne souverainiste. Une politique récemment hostile aux instances européennes, et qui refuse notamment tout rapatriement de ses ressortissants au pays, contrairement à la Tunisie.
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Ce n’est enfin pas la première fois que le Palais de Carthage s’inscrit dans le registre de la justification, voire des plates excuses, à l’adresse de son voisin algérien. En octobre 2021, lorsque membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, la Tunisie s’était abstenue de voter le texte de la résolution sur le Sahara marocain présenté par les Etats-Unis. Une correspondance de Carthage à Alger avait alors fuité, jamais démentie, répondant à plusieurs semaines colère côté algérien, dans laquelle Saïed explique ce vote par la position délicate de la Tunisie à l’égard des USA et du FMI à l’époque.
D’autres sources font état de mécontentement supplémentaire d’Alger concernant les récentes visites à Tunis de représentants de puissances rivales arabes cette fois, en l’occurrence les Emirats et l’Egypte. Quoi qu’il en soit, en acceptant une vassalisation, même partielle, de sa politique étrangère devenue un satellite d’Alger, la Tunisie est aujourd’hui la grande perdante de la reconfiguration en cours des axes régionaux. Depuis que le Maroc a rappelé son ambassadeur en Tunisie fin août 2022, le pays reste entre autres sans représentation diplomatique marocaine de haut niveau. A vouloir plaire aux gouvernements xénophobes en Europe ainsi qu’au grand voisin algérien, Saïed paye en somme au Maghreb le prix de son inexpérience, en y étant plus isolé que jamais.