Y a-t-il lieu de parler de détente politico-judiciaire en Tunisie ?

Mohamed Boughalleb fait partie des voix les plus virulentes à l’encontre de l’actuel pouvoir en Tunisie
Trois des dizaines de figures publiques en détention ont été libérées coup sur coup en Tunisie, respectivement une militante des droits de l’homme, un ancien ministre et un journaliste. De quoi susciter les espoirs des plus optimistes quant à d’autres libérations à venir dans le cadre d’une forme de détente politique plus vaste. Pourtant, à y regarder de plus près, il s’agit tout au plus d’une détente à minima, voire de simples coïncidences du calendrier.
La justice tunisienne a décidé jeudi 20 février de remettre en liberté Mohamed Boughalleb, chroniqueur et figure médiatique poursuivi en vertu du décret présidentiel 54 visant officiellement à lutter contre les « fausses informations ». Sa libération intervient au lendemain de celle de Sihem Bensedrine, personnalité de la société civile et ex présidente de l’Instance vérité et dignité, accusée de falsification du rapport final de l’instance. La veille, l’avocat Wacef Masmoudi, membre du comité de défense de l’ancien ministre de l’Environnement, Riadh Mouakher, avait la libération de son client, incarcéré depuis février 2023.
Les peines scrutées dans le détail incitent à la perplexité
Si la cour criminelle au sein du tribunal de première instance a finalement accepté hier soir la demande de la défense de libérer le journaliste, il reste cependant poursuivi en vertu du décret-loi 54, selon Me Hamadi Zaafrani. Il lui est interdit de quitter le territoire et son procès a été reporté au 21 avril, selon la même source.
Avocat également, son frère avait indiqué que Mohamed Boughalleb était fragile, souffrant de diabète et d’hypertension. Fin janvier, le président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), Bassem Trifi, l’avait aussi mentionné parmi des détenus dans « un état de santé grave ».
Les mêmes considérations d’ordre sanitaire et humanitaire semblent avoir été l’une des causes de libération conditionnelle dont a bénéficié Bensedrine (74 ans) qui ne comparaissait en état d’arrestation que dans l’une des neuf affaires qui lui sont intentées. D’autres observateurs affirment que les pressions onusiennes que nous évoquions le 18 février courant ont pu infléchir la décision du pouvoir tunisien, d’autant que cet appel de l’UNHCR avait cité nommément la concernée.
Condamné à trois ans de prison dans une affaire liée à des malversations dans un appel d’offre public, Riadh Mouakher venait quant à lui de dépasser les deux années d’incarcération, soit les deux tiers de sa peine.
Si certains y voient d’un œil angéliste les prémices d’une opération de clémence et de pré-dialogue aux portes de ramadan, mois de la piété, d’autres suspectent au contraire une tentation du « reculer pour mieux sauter » et se focaliser sur le grand procès du 4 mars où doivent être jugés les opposants les plus gênants du pouvoir, poursuivis pour « complot » et où figurent un certain nombre d’islamistes.
Quoi qu’il en soit, contrairement au régime algérien allié qui n’a pas manqué récemment de publiciser via Abdelmadjid Tebboune lui-même sa volonté d’une forme d’inflexion et d’envoi de signaux en ce sens à l’opposition algérienne, le pouvoir tunisien continue pour sa part d’observer le silence à ce sujet et de marteler que la justice demeure indépendante, ce qui alimente les spéculations et laisse la part belle à toutes les interprétations.