Wael Al Dahdouh : Icône de la Palestine occupée
L’image avait fait le tour du monde. Wael Al Dahdouh, le journaliste vedette d’Al Jazeera qui venait juste d’enterrer enterrant sa femme et de deux de ses enfants, tués dans une frappe le 25 octobre, prononcera ces mots qui resteront à jamais gravés dans la mémoire des hommes libres « ce n’est pas grave. C’est le tribut à payer pour la liberté de la Palestine ». Même constance quand il va être blessé, le 15 décembre par un tir ciblé des soldats de l’armée « la plus morale du monde ».
Des journalistes égyptiens ont réussi à faire une exception à la règle imposée par le président Sissi et son homologue israélien de bloquer tout passage dans les deux sens à travers le terminal de Rafah. Pour les autorités égyptiennes critiquées par le monde entier pour « leur complicité passive » dans le massacre des Gazaouis à qui on ne permet même pas l’acheminement de pain ou d’eau ont vu dans la demande du syndicat des journalistes égyptiens pour faciliter le passage de l’icône du journalisme AL Dahdouh en Égypte pour aller se faire soigner au Qatar une occasion en or pour diminuer l’intensité des critiques.
Tant mieux , dira-t-on pour ce héros de la guerre de Gaza, qui a payé très cher le prix de sa couverture au scalpel des exactions de l’État hébreu. Grâce à lui (et d’autres kamikazes de l’information), la chaîne Al-Jazeera, nous abreuve en continu d’images insoutenables des frappes de « l’armée la plus morale du monde » avec des images de bébés aux membres arrachés, de femmes enceintes éventrées et de vieillards déchiquetés, quand ce n’est pas des hôpitaux complètement rasés avec leurs malades, leurs médecins et leurs ambulances.
Ces horreurs au quotidien qui durent depuis le 7 octobre dernier, n’ont pas épargné le fameux journaliste qui, lui aussi, a subi dans sa chair le siège inique et inhumain imposé par une armée qui pilonne nuit et jour des populations civiles démunies.
Al Dahdouh a subi lui-même les atrocités de la guerre lorsque, dans un raid israélien qui semble avoir spécialement visé sa maison le 25 octobre dernier dans le camp de réfugiés de Nuseirat, sa femme et deux de ses enfants ont perdu la vie.
Signe d’un acharnement certain, c’est son fils aîné Hamza qui est ciblé quelques semaines plus tard lorsque il a été ciblé par l’armée israélienne alors qu’il circulait en voiture à Rafah, en compagnie d’un autre journaliste d’Al Jazeera, avec tous les signes qui montrent qu’il s’agit bien de journalistes !
Un Etat qui cible les journalistes palestiniens avec la même hargne et la même haine qu’il massacre leurs enfants, éventre leurs épouses et s’accapare leurs terres, enrage de voir un journaliste encore debout et qui a toujours la force de déclarer : « Alors que nous sommes pleins d’humanité, eux (Israël) sont remplis d’une haine meurtrière. C’est également injuste pour les journalistes que nous sommes » (réaction du reporter, lui-même blessé en décembre par une frappe qui avait eu raison de son collègue Samer Abu Daqqa).
En cela, l’attitude de Dahdouh est quasiment christique parce qu’il est convaincu que la place de l’amour dans l’exécution des actes est plus importante que la haine. Ce qui consiste aussi à dire un « oui » sans ambiguïté chaque jour aux événements et les épreuves quotidiennes que la Providence divine met sur notre route.
Pour ceux qui ne le savent pas encore, il faut préciser que les geôles d’occupation israélienne accueillent aussi les journalistes puisque Dahdouh a également connu l’injustice de l’incarcération administrative, sorte de couperet judiciaire qui n’existe nulle part dans le monde à part Israël et qui consiste à jeter en prison n’importe quel Palestinien, du simple fait qu’il est palestinien ! Al Dahdouh a été détenu pendant 7 ans dans les prisons de « la première démocratie » du Proche-Orient comme aiment à la décrire les médias français.
Pourquoi ce journaliste né le 30 avril 1970 dans la bande Gaza, qui avait commencé sa carrière pour le journal palestinien Al-Qods avant de correspondre pour de nombreux médias et de rejoindre Al Jazeera en 2004 en tant que correspondant à Gaza, dérange-t-il autant l’establishment de l’Etat hébreu ?
Il a d’abord l’esprit de résilience qui a permis à tout un peuple, (la population palestinienne) de tisser des liens de confiance et de solidarité entre ses membres tout au long d’un long combat contre l’occupation israélienne. Intégré dans un collectif soudé par la foi en une cause juste, le Palestinien s’expose moins au syndrome de stress post-traumatique que s’il est isolé dans son combat contre l’injustice.
Il y a aussi l’acceptation d’un sort qui relève du destin, qui n’est pas un déni de la réalité des forces en présence mais le chagrin, la colère et les réactions doivent servir à canaliser toute intelligence émotionnelle pour trouver des réponses appropriées aux injustices.
C’est l’occasion au passage pour la résistance palestinienne à laquelle contribuent aussi les journalistes de révéler des compétences cachées, formidable moteur pour reprendre confiance dans une victoire hypothétique mais qui semble aujourd’hui plus que probable. Après tout, David a bien terrassé Goliath malgré la disproportion de la force. Il y aussi la foi, tout simplement. La foi du croyant convaincu du secours d’une Main Invisible qui est toujours du côté de la victime.
De l’autre côté, le traumatisme terrible de la société israélienne, après un 7 octobre qui a réveillé tout un pays de la fausse croyance en un « Etat invincible, toujours capable de se protéger et de protéger ses populations de la menace la plus minime, fort d’une armée super-équipée, des services secrets les plus informés du monde ».
Résultat, ce que ne comprend pas l’opinion internationale, c’est que la population israélienne est toujours sourde aux conséquences meurtrières de la guerre. Bien au contraire, ce sont les juifs d’Israël qui scandent « morts aux arabes » et qui exigent toujours plus de sang palestinien pour assouvir leur soif de vengeance et punir les intéressés qui les ont secoués de la léthargie exquise d’une vie douce, d’un mode de vie à l’occidentale.
Une société Israélienne biberonnée à « l’American way of life » qui s’est réveillée un matin du 7 octobre aux cris « d’Allah Akbar » des combattants du Hamas. De là à ce que tout le monde soit convaincu qu’il faut absolument faire disparaître tous ces « barbus » qui finiront par reléguer les femmes au foyer, les couvrir d’un voile, embastiller les homosexuels, interdire l’alcool, bannir le cinéma, est un pas vite franchi. Surtout au moment où toute la population de Gaza semble fascinée par les prouesses de « ces obscurantistes » qui sortent de nulle part pour infliger des pertes énormes à l’armée israélienne.
En s’affranchissant du judaïsme, Israël a pensé se libérer de l’absolutisme religieux, mais ce sont ses propres fondamentalistes qui soutiennent le terrorisme des colons et brandissent « l’islamophobie » comme figures du mal absolu sur cette terre.
Si Israël a perdu, c’est que ses citoyens se trouvent aujourd’hui dans un état d’inquiétude, en proie à l’anxiété d’une menace qu’on croyait disparue à jamais, une peur suffisamment puissante pour dominer la vie mentale de cette population et de l’assujettir à une vision partiale et partielle de la réalité.
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