Villa Arson, trois bonnes raisons d’y aller
Amateurs d’art contemporain et férus d’architecture trouveront leur bonheur dans cette institution culturelle niçoise sans pareille. Cet été on y découvre le travail de la jeune artiste EL Meya, on « rembobine jusqu’aux années 1990 pour observer cette époque avec l’exposition Rewinding Internationalism et on se perd dans le dédale de ce bâtiment brutaliste et son jardin suspendu.
Juchée sur la colline Saint-Barthélemy avec la Méditerranée pour horizon, la villa Arson mérite le détour à plus d’un titre. Cet établissement niçois unique dans le paysage culturel français abrite une école nationale supérieure d’art, des espaces d’exposition, une résidence d’artistes, incluant des réfugiés ainsi qu’une bibliothèque spécialisée. Occupant l’un des points culminants de la capitale de la Côte d’Azur, le bâtiment en lui-même recèle une riche histoire.
Villa cossue de style italien érigée au XVIIIe siècle, elle connaît après son rachat par le riche négociant, dont elle porte encore le nom, une série d’embellissements comme la transformation des terrains agricoles alentours en jardins. Tour à tour hôtel puis hôpital, cette belle demeure deviendra le centre d’art que l’on connait aujourd’hui à l’instigation d’André Malraux, ministre des Affaires culturelles dans les années 1960. L’architecte Michel Marot réussit alors la prouesse d’une construction horizontale qui serpente en toute discrétion parmi les pins parasols et les cyprès. Et c’est en 1972 qu’est inauguré cet incroyable « labyrinthe de béton, de galets et de plantes entremêlées, qui s’étale comme un lézard au soleil ».
Au loin s’en vont les odalisques
C’est dans la galerie carrée de cet édifice brutaliste que se tient aujourd’hui Jazira, le premier solo show en France de la jeune artiste constantinoise EL Meya sous le commissariat de Fayçal Baghriche, lui-même ancien diplômé de la Villa Arson. La plupart des tableaux accrochés ont été réalisés lors d’une résidence sur place au printemps dernier.
Le corps de la femme et le regard orientaliste et masculin posé sur lui continuent d’occuper une place prépondérante dans les toiles de cette nouvelle série intitulée « Petite je rêvais de voyager sur un nuage ». « J’ai interrogé les odalisques de Lecomte du Nouy, de Jean-Auguste-Domininque Ingres, de Jean-Léon Gérôme, ou encore d’Eugène Delacroix. D’ailleurs dans cette série en particulier, il était question de revoir le nu féminin, d’explorer sa représentation, le regard que je/nous portons sur ces corps nus féminins aujourd’hui et comment moi en tant que femme artiste algérienne je pourrais les approcher », confie cette plasticienne prometteuse qui cherche à peindre des femmes débarrassées du regard masculin et décolonisées qui ne soient pas données « en pâture au regardeur ». On les voit prenant le large à bord de nuages en guise de montures.
Un écho cruel avec l’actualité
C’est dans les espaces labyrinthiques qui jouxtent cette salle que se tient l’exposition collective, Rewinding Internationalism. Réunissant une quarantaine d’artistes, elle plonge le visiteur dans les années 1990 tout en mettant les problématiques de cette décennie en dialogue avec les crises actuelles. Cet accrochage résulte d’un projet mené par Nick Aikens, curateur internationalement reconnu pour sa collaboration avec des artistes racisés et son regard décolonial sur les arts visuels. Y figure en bonne place le travail de feu l’activiste espagnol Miguel Benlloch.
Dans sa sérigraphie Piedra Palestina (pierre palestinienne), un jeune garçon s’apprête à lancer une pierre. L’œuvre remonte à 1993, année de la signature des premiers accords d’Oslo supposés apporter la paix en Palestine et résonne cruellement avec l’actualité. Ce pacifiste est également l’auteur d’une série d’affiches poétiques, Epigrams Against War qui ouvrent cet ensemble. Aux côtés de cette œuvre, une affiche de l’Association pour la démocratie à Nice fondée en réponse à la candidature de Jean-Marie Le Pen aux élections régionales de mars 1992 incite les électeurs à aller aux urnes : « S’abstenir c’est laisser le champ libre à la haine ». Un slogan qui n’a pas pris une ride.
Jazira et Rewinding Internationalism jusqu’au 27 août à la Villa Arson 20 av. Stephen Liégeard, 06105, Nice