Vers un retrait des membres du clan Ben Ali de la liste de sanctions européennes ?

 Vers un retrait des membres du clan Ben Ali de la liste de sanctions européennes ?

A droite, Nesrine Ben Ali et son époux le rappeur K2rhym (aujourd’hui divorcés) en 2019, une des dernières photos prises du couple Leila Trabelsi – Ben Ali avant le décès de ce dernier en Arabie Saoudite

L’Union européenne envisage d’étudier un projet de révision des modalités de sanctions financières à l’encontre de plusieurs membres « high profile » de la famille de l’ancien dictateur déchu Zinelabidine Ben Ali, apprend-on aujourd’hui 29 septembre 2022. Une potentielle levée des sanctions qui va à l’encontre des efforts de lobbying de l’actuel pouvoir tunisien. Explications.

« Ce délisting éloignerait encore un peu plus la perspective de récupérer certains avoirs de l’ancien clan présidentiel », souligne Africa intelligence. Discrètement, les négociations relatives à la révision du régime de sanctions qui s’applique au clan de l’ex président Ben Ali (décédé en septembre 2019), se sont en effet déroulées lundi 26 septembre au sein du groupe d’experts « Maghreb – Mashrek ».

Les experts en question doivent ainsi rendre compte de ces discussions à la mission de Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, mais aussi au Conseil de l’UE. Or, c’est le même Josep Borell qui dès juillet 2021, puis octobre de la même année, fut le plus prompt des responsables occidentaux à requérir le rétablissement des institutions démocratiques en Tunisie. En pointe au lendemain du coup de force du président Kais Saïed, il n’a eu de cesse de faire le forcing, depuis, en ce sens.

Il y a donc lieu de penser que, tout comme les Etats-Unis de Joe Biden ont récemment voté au Congrès US, pour des considérations éthiques, une réduction de 50% des aides militaires accordées à la Tunisie en attendant d’y voir plus clair dans la direction que prend le pays, l’UE temporise également de sorte de ne pas octroyer des succès politico-financiers en faveur d’un régime dont elle réprouve ouvertement la direction. Une réprobation plus marquée encore que celle des nations européennes à titre individuel, le Parlement européen étant particulièrement à cheval sur les questions touchant aux libertés parlementaires et démocratiques.

D’autant plus que depuis l’entame du démantèlement des institutions issues de la transition démocratique, le Palais de Carthage a fait du recouvrement des biens mal acquis de l’ancien régime une affaire personnelle. Des biens que le président Saïed ne dissocie pas de ceux présumés acquis par les politiciens et hommes d’affaires post révolution de 2011. Une entité dite « Commission nationale de restitution des fonds spoliés », siégeant au sein même du Palais, puis une loi dite de la réconciliation pénale a même été promulguée en ce sens.

Saïed compte ainsi réussir là où l’instance de justice transitionnelle a échoué : malgré tous les moyens qui lui furent impartis, l’Instance vérité et dignité n’avait pas pu réaliser d’avancées notables entre 2015 et 2018 dans la récupération de fonds du clan Ben Ali placés à l’étranger. Les chances d’y réussir s’amenuisent donc logiquement plusieurs années plus tard, en plein retour de ce qui est largement vu en Occident comme dictature en devenir.

 

Vers une décision préliminaire

Cependant si le projet de faire sortir de la liste certains membres de la famille est ratifié, il devrait par la suite être entériné par divers organes : le Comité politique et de sécurité (COPS), suivi par le Comité des représentants permanents (Coreper), avant de finir devant le Conseil de l’Union européenne. Les prochains meetings de ce processus complexe auront lieu les 17 et 18 octobre, puis le 14 novembre, avons-nous aussi appris. En cas d’approbation, la levée des sanctions, dont les gels des avoirs bancaires, serait effective dès le mois de janvier 2023.

Au jour d’aujourd’hui entre cinq et dix noms de personnalités du clan Ben Ali sont concernés. Début 2022, un verdict d’un tribunal français avait déjà ordonné la levée du gel des avoirs de deux filles de l’ancien président tunisien : Halima Ben Ali et Nesrine Ben Ali. Des dossiers inquiètent Carthage, puisque les chances de voir Tunis récupérer ses avoirs apparaissent de plus en plus faibles. En juillet dernier, il avait ainsi appelé à une réunion urgente de la Commission dédiée.

La dernière levée de sanctions européennes remonte à janvier 2021, quand à la suite de dix années de recours judiciaires, quatre membres relativement secondaires du clan présidentiel déchu avaient été retirés de la liste dressée par l’UE en 2011 : Slim Ben Ali, neveu de l’ex-président, Boutheina Trabelsi, nièce de l’ex-première dame Leïla Trabelsi, Nabil Trabelsi, beau-frère de Ben Ali, et Akrem Bouaouina, neveu de Ben Ali.

En dépit des multiples discours du président Kaïs Saïed affirmant sa volonté inébranlable de récupérer cet argent, les dossiers présentés par les actuels ministères de la Justice et celui des Domaines de l’Etat qui s’occupent de cette question seraient considérés comme « trop faibles » par les juristes spécialisés en droit international. Un manque de coordination avec le ministère des affaires étrangères d’Othman Jerandi a aussi été identifié, une défaillance administrative de celles décrites plus généralement dans l’entretien que nous a accordé Vincent Geisser en début de semaine.

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