Vers un controversé changement de statut de la Banque centrale de Tunisie

 Vers un controversé changement de statut de la Banque centrale de Tunisie

La fraîchement investie cheffe du gouvernement, Sarra Zafrani Zenzeri, a présidé mardi 25 mars 2025, au Palais du gouvernement à la Kasbah, un conseil ministériel restreint consacré à l’examen du projet de révision de la loi n°35 de 2016 régissant le statut de la Banque centrale de Tunisie.

Ont pris part à cette réunion la ministre des Finances, Mechket Salama Khaldi, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale, Fathi Zouhair Nouri.

Cela fait plusieurs mois que le président Kais Saïed réitère avec insistance sa volonté de rupture avec l’actuel statut de la Banque centrale de Tunisie, ne manquant pas une occasion de relativiser l’autonomie de la Banque mais aussi de déplorer ce qu’il estime être l’inefficacité de la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) dans la lutte contre les flux financiers suspects en provenance de l’étranger.

C’est chose faite : aussitôt nommée, la cheffe du gouvernement passe à l’exécution de ce chantier polémique aux yeux de bon nombre d’économistes mais aussi de l’opposition. Zafrani a mis en avant dans un communiqué officiel « le rôle clé de la Banque centrale dans la mise en place de normes financières solides, garantes d’un système bancaire national performant. Elle a insisté sur la nécessité de renforcer les politiques de développement, stimuler l’investissement et accroître la capacité de financement des petites et moyennes entreprises ».

Elle a également souligné « l’importance d’une coordination entre les structures financières publiques et privées pour accélérer les réformes et mener une transformation législative profonde, touchant tous les secteurs vitaux. L’objectif étant de favoriser une dynamique économique durable, soutenant l’investissement et la création de richesse dans l’ensemble du pays ».

Par ailleurs, Sarra Zafrani Zenzeri a réaffirmé le choix stratégique de la Tunisie d’une autosuffisance financière, appelant à une mobilisation collective pour bâtir un système financier plus solidaire et résilient, capable de faire face aux mutations économiques mondiales et de réduire la dépendance à l’endettement extérieur. Après examen des propositions de révision de la loi n°35 de 2016, le conseil ministériel a recommandé « d’accélérer sa mise à jour selon une approche moderne et intégrée, afin d’adapter le cadre législatif aux enjeux économiques actuels ».

Mais pour de nombreux experts, ces velléités de « mainmise sur la BCT » n’auraient rien de moderne et ont un air de déjà vu dans certains pays où cela fut tenté ou réalisé, au risque d’une forte dépréciation de la monnaie locale et d’un péril inflationniste.

 

« La Banque centrale coûte cher à l’Etat »

Au même moment, l’économiste et expert en risques financiers Mourad Hattab qui est d’un autre avis, procédait en prime time sur la chaîne radio Mosaïque FM à ce qui ressemble à un appui de la politique gouvernementale, rappelant que le Fonds monétaire international (FMI) a régulièrement exigé que la Banque centrale de Tunisie soit autonome.

L’homme a considéré que cette recommandation vise à réduire le rôle de l’Etat dans la définition des orientations générales du pays et permettre au système bancaire de prendre le contrôle de la vie économique et de l’investissement : « L’autonomie de la Banque centrale a coûté 113 milliards de dinars à l’Etat depuis 2016 et cela est essentiellement dû à la dépréciation du dinar, par rapport aux devises et au recours abusif à l’endettement extérieur », a-t-il affirmé.

« Mettre fin à l’indépendance de la BCT limiterait son domaine d’intervention au maintien de la valeur de la monnaie et des avoirs nets en devises et à la régulation du marché monétaire, mais elle ne devra plus également changer le taux moyen du marché monétaire (TMM); autrement elle poussera l’Etat à recourir à l’endettement intérieur », toujours selon Hattab qui dénonce en outre le manque d’autorité de la BCT sur les banques tunisiennes qui ont pu ces dernières semaines ne pas se plier à ses directives sur une baisse des taux.

 

Record de billets en circulation

La veille, le montant des billets et monnaies en circulation avait enregistré un nouveau record atteignant 23,449 milliards de dinars, lundi 24 mars 2025, en se référant aux chiffres publiés par la même BCT. Un montant en forte hausse de 2,259 milliards de dinars par rapport à la même période un an auparavant.

Si durant le mois de ramadan propice à une certaine surconsommation des ménages, les billets et monnaies en circulation augmentent traditionnellement, la hausse constatée est cette fois bien plus importante que d’ordinaire, ce qui suggère que la planche à billets fonctionne à un régime élevé. Autre raison avancée par les observateurs, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques, qui continue de causer un marasme économique, et contraint divers acteurs de l’économie, notamment les fournisseurs, à requérir d’être payés en espèces.

Une thèse confortée par de récentes statistiques de la Banque centrale qui ont révélé une chute de 94% du nombre de chèques en circulation depuis l’avènement de la plateforme électronique unifiée « Tunichèque » en février 2025.