Vers un amendement controversé du statut de la Banque centrale de Tunisie
Un projet de loi relatif à l’amendement du statut de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a été déposé par le bloc de la Ligne nationale souveraine, un bloc pro pouvoir au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
C’est ce qu’a indiqué le vice-président du bloc en question, Abderrazek Aouidet en marge d’une rencontre avec l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) organisée le 23 août 2023 autour du thème « Qu’entend-on par l’indépendance de la BCT ? ». Aouidet a précisé que le projet d’amendement portera principalement sur le 4e paragraphe de l’article 25 du statut de la BCT, afin d’autoriser à l’Etat à obtenir directement des crédits auprès de la BCT, sans passer par les banques commerciales.
Ce n’est pas la première fois que l’épineuse question de la souveraineté de la BCT est remise en question par des cercles proches du président de la République Kais Saïed. Dès le mois de mai dernier, le chef de l’Etat avait reçu au Palais de Carthage le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, à l’occasion de la remise des états financiers 2022 de la banque ainsi que du rapport des Commissaires aux comptes. Mais la rencontre avait alors digressé sur l’importance du rôle de la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF), relevant de la BCT, et ce « dans l’identification des ressources de financement illicites », selon un communiqué de la présidence de la République.
« Nul n’ignore que les fonds circulent de manière illégale et il n’est plus possible pour les parties qui profitent de ces fonds de ne pas répondre de leurs actes devant la justice », avait affirmé le président Saïed. Derrière cette remarque sous forme de remontrance, se cache en réalité le vrai motif derrière cette convocation et les prémices d’une volonté d’une mainmise plus grande de l’Etat sous régime Saïed, désireux d’accroître son contrôle sur l’ensemble des institutions du pays.
Mais l’indépendance de la Banque centrale revêtant un caractère délicat pour le pouvoir, susceptible d’attirer l’attention des instances de régulation financières internationales, voire la dévaluation du dinar tunisien, Kais Saïed est sans doute conscient que toute réforme des statuts de la BCT devra se faire de manière subtile et par étapes, en évitant un clash direct avec son influent gouverneur.
Car dans le logiciel présidentiel, l’échec dans l’identification de financements illicites de certaines structures et partis d’opposition ne saurait être la résultante de la difficulté pourtant connue de ce type de tâches, mais forcément le fruit d’un complot, d’une passivité, voire du sabotage d’un « traître » en haut lieu. Et le financement insuffisant de l’économie nationale par les banques est perçu par l’actuel pouvoir comme faisant partie intégrante de ce « complot » passif.
Etant l’un des derniers bastions échappant à l’ingérence du pouvoir saïdiste, c’est donc au tour de la BCT de subir cet assaut législatif, sans parler du fait que la Banque continue de se montrer régulièrement critique de la politique budgétaire de l’Etat.
Inquiétudes autour de l’indépendance de la Banque centrale
Pour palier cette situation, le nouveau texte de loi propose par conséquent qu’au lieu de rembourser ces crédits moyennant un taux d’intérêt de 7% (4% au profit de la BCT, et 3% au profit des banques commerciales), « l’Etat serait dorénavant appelé à payer des intérêts de l’ordre de 4% uniquement », a expliqué l’élu Aouidet. L’enveloppe juteuse ainsi épargnée pourrait atteindre les 240 millions de dinars par an. Le projet d’amendement prévoit en outre que les crédits à octroyer par la BCT à l’Etat ne devront plus dépasser les seuils de 5% du PIB ou de 20% des recettes fiscales collectées durant l’année écoulée.
Ces crédits devraient également être remboursés dans un délai ne dépassant pas les 12 mois de la date de réception. D’après Aouidet, son bloc propose, aussi, d’apporter un amendement à l’article 46 du statut de la BCT pour qu’il soit adapté à la Constitution de l’année 2022, rédigée unilatéralement par le président Kais Saïed, laquelle stipule que le gouverneur de la BCT doit être désigné par le président de la République et non plus par le Chef du Gouvernement.
Ancien directeur général des politiques monétaires à la BCT, Mohamed Saleh Souilem critique aujourd’hui fermement ce projet d’amendement : « l’Institut d’émission tunisien doit se concentrer sur son rôle primordial, qui consiste à assurer la stabilité des prix, pour maîtriser l’inflation de manière à ne pas augmenter le taux directeur, et non sur l’octroi des crédits à l’Etat », rappelle-t-il.
Or, « si l’on apporte un amendement au paragraphe 4 de l’article 25, la BCT ne pourra plus jouer convenablement l’un de ses rôles : assurer l’équilibre de la masse monétaire, l’une de ses attributions essentielles, puisqu’elle veille à ce que les liquidités disponibles sur le marché s’adaptent au développement de la production nationale ». Selon Souilem, « il serait plus judicieux pour le gouvernement de concevoir de nouveaux mécanismes plus adéquats permettant de créer de la richesse et de booster la croissance du pays, afin de surmonter cette phase difficile ».
D’autres experts insistent sur le fait que la BCT ne doit plus se contenter de la seule et orthodoxe mission de maîtrise de l’inflation, et qu’elle doit assumer d’autres responsabilités dont l’optimisation de la croissance et à la lutte contre la hausse du taux de chômage qui avoisine les 15,6% en Tunisie d’après les dernières statistiques de l’INS.