Vaccin : Pourquoi le Maroc a choisi Astrazeneca et Sinopharm ?
Depuis la première annonce du vaccin contre le Covid-19, plusieurs puissances mondiales ont mis en avant leurs compétences et savoir faire. Sputnik pour les russes, Sinopharm pour la Chine, AstraZeneca pour la Grande-Bretagne et la Suède, Pfizer-BioNtech et Moderna pour les Américains. Comment les pays choisissent leurs « produits miracles » ? Elements de réponses avec l’expert dans le domaine de la santé et professeur de médecine et pharmacie, Hamid Ziouani.
Le Covid-19 n’a pas seulement changé l’ordre mondial économique. Il a transformé les solutions sanitaires en armes. Durant cette crise majeure, certains pays ont gagné des points (Chine, Russie,..) et d’autres en ont perdu (France, Union Européenne). C’est que le professeur de géopolitique de l’Institut de géographie de Paris I et de l’Ecole Nationale Supérieure, Jacques Soppelsa, nomme « le nouveau désordre mondial » dans un article.
Comme pour les masques ou tests, c’est le système D qui prévaut. Il faut se débrouiller par ses propres moyens pour trouver un vaccin. Et fait exceptionnel, on a vu surgir, en quelques mois, des vaccins à la nouvelle technologie (Pfizer-BioNtech, Moderna) et d’autres plus classiques comme le Sputnik et le Sinopharm. Rien d’étonnant quand on voit les possibilités données par les ordinateurs pour déchiffrer le génome humain. Si les solutions sont nombreuses, elles combinent néanmoins plusieurs problématiques à résoudre : prix, fiabilité, gestion des stocks, arrivage et logistique, etc…
>>Lire aussi : Vols pour le Maroc : la liste s’allonge avec deux nouveaux pays
Le Maroc vaccine à tour de bras
En la matière, le Maroc s’en sort très bien sur le terrain de la vaccination. Un magazine allemand Welt félicite le Royaume sur le sujet. 2,5 millions de vaccinés, soit près de 100 000 par jour ! L’objectif est de vacciner 80% de la population adulte, soit 25 millions de personnes. La baisse du nombre de cas (« 500 nouvelles infections et une dizaine de décès« ) rendrait, selon le magazine, « jaloux l’Allemagne et d’autres pays de l’Union Européenne« .
Pour réussir cette campagne, le Maroc a choisi de diversifier ses commandes, une sorte de « pack vaccin », à l’instar du « pack énergie », qui consiste à ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. On a fait appel à deux vaccins : le vaccin chinois, Sinopharm et l’AstraZeneca, celui de la société britannique Astra et du suédois, Zeneca. « Le Maroc projette d’avoir 65 millions de doses dont les deux tiers proviennent du vaccin chinois, indique l’expert de la santé, Hamid Ziouani. Pour l’heure, sur les 6,5 millions de doses en sa possession, le Royaume n’a reçu qu’un million de doses du vaccin de l’Empire du Milieu. »
>>Lire aussi : Covid-19. Le Maroc élargit la vaccination aux 60-64 ans
Efficacité, prix, logistique,…
Pour l’ancien salarié pendant 20 ans de l’Institut Pasteur et professeur en pharmacie et médecine à Rabat, le choix du vaccin est opéré sur la base de plusieurs critères. « L’efficacité est bien sûr, pris en compte mais chaque pays doit composer avec ses moyens techniques et technologiques. Dans le cas des vaccins ARN Messenger, la logistique nécessaire et la température de conservation (-80°, nldr) n’ont pas joué en leur faveur. La question du recul par rapport à cette technologie peut aussi se poser même si on suit en général ce qui se fait en Europe ou aux Etats-Unis. Ensuite, et il ne faut pas le négliger, le prix est important. »
En effet, selon Statista, le prix de l’AstraZeneca est de 3 euros la dose, le Sinovac est à 25 euros la dose. Parmi les plus chers, on retrouve ceux à la technologie ARN (31 euros pour le Moderna et 17 euros pour le Pfizer). Enfin, le vaccin russe Sputnik est à 8 euros.
L’expert en santé observe aussi que les pays producteurs priorisent les pays receveurs selon des politiques géostratégiques. « C’est devenu une arme, nous confirme Hamid Ziouani. Si tu fais partie de mon cercle, je te donne des vaccins. » Les différences entre les pays du Maghreb ne sont pas à mettre au crédit d’une problématique financière. « Si les Algériens avaient pu trouver du Moderna, ils l’auraient pris. Ce n’est pas une question d’argent. Ils en ont les moyens. Mais, même en payant, ils ne l’auraient pas eu. Les pays producteurs ont privilégié leurs zones d’influence. »
>>Lire aussi : Vaccin : derrière le possible “remède”, un couple germano-turc milliardaire
Le Maroc peut produire des vaccins mais n’a pas de marché suffisant
L’expert en santé explique aussi que les Américains, sous la présidence Trump, a bénéficié de milliards de dollars pour aider à trouver le vaccin. « Le vaccin a changé la donne des rapports entre pays. On est passé d’une mondialisation toute azimut à la question dorénavant prioritaire de souveraineté. »
Et dans le domaine, Hamid Ziouani nous confirme que le Maroc peut et sait produire des vaccins. La technologie ou la capacité à produire est connue depuis longtemps au Royaume. « Nous l’avons déjà fait par le passé sur des maladies comme le choléra par exemple. Si on ne produit plus depuis plusieurs années, c’est pour des raisons de rentabilité. Le marché marocain de 60 millions de doses n’est pas suffisant. Il y a peu de pays qui font des vaccins car il faut produire en grandes quantités pour un marché qui est mondial et non local. Nous ne sommes pas dans le même rapport que pour le médicament. »
>>Lire aussi : Un chercheur marocain sur le point de développer un vaccin universel
L’avenir du vaccin au Maroc dépend de l’Afrique
Dés lors, la question se pose de l’avenir d’un vaccin qui va surement devoir être renouvelé tous les ans. Là encore, le marché marocain est trop restreint et surtout la capacité d’achat n’est pas à la hauteur. « La seule solution pour l’industrie du vaccin au Maroc est de se tourner vers l’Afrique. Mais personne ne se préoccupe de l’Afrique à part l’OMS et dans une moindre mesure, la Chine. Prenons l’exemple de la grippe. Le marché marocain est de 200 000 doses. Il faut saisir que ces 200 000 doses correspondent à ce que les marocains auraient les moyens d’acheter. Nous sommes ici dans des questions de pouvoir d’achat et de couverture sociale au Maroc. Plus de 40% des marocains n’en ont pas ! »
Conscient de cette question qu’a renforcée la pandémie, le Roi Mohammed VI en a fait sa priorité. Il a ainsi annoncé lors de son discours du 21 anniversaire de son accession au trône, le 29 juillet 2020, vouloir mettre en place, « dans les 5 prochaines années » la généralisation de la couverture sociale « au profit de tous les marocains. »
Le professeur Hamid Ziouani se veut optimiste. Ainsi, pour lui il n’y aura pas de problème à copier le vaccin dans l’avenir. « La question du brevet ne se pose pas pour les vaccins, en dehors de ceux qui utilisent la technologie ARN Messenger. Pour ceux-là, on aura des droits à payer. Mais s’il y a un vaccin universel, le Maroc pourra le produire en visant notamment le marché africain. »