« Une forme de coalition cherche à barrer la route aux jeunes compétences dans l’accès à des postes aussi sensibles que celui de bâtonnier », Noaman Sadik, avocat au barreau de Casablanca
Entretien avec Noaman Sadik, avocat engagé, émargeant au barreau de Casablanca et membre du conseil, sur les défis du rajeunissement de la profession et les réformes menaçant son avenir.
LCDL : Vous venez de rentrer de Paris après avoir participé au Campus des avocats de 2024, que vous inspire cette expérience ?
Noaman Sadik : L’expérience du Campus des avocats de Paris, comme d’ailleurs celle, particulièrement réussie, du Campus International Casablanca 2024, organisé conjointement par les Barreaux de Paris et de Casablanca les 13 et 14 novembre 2024, est un exemple intéressant des contingences négatives qui traversent la profession.
Les avocats français sont arrivés porteurs d’une vitalité pleine de jeunesse, prêts à nouer des partenariats constructifs. Face à eux, ils ont trouvé peu de figures neuves, mais plutôt des homologues marocains à qui faisait défaut, notamment, la maîtrise des langues et parfois même des compétences en négociation et des accomplissements notables.
Vous semblez être attaché à la défense de la jeunesse de la profession. Qu’est-ce qui menace ce rajeunissement ?
Bien que nous ne soyons aucunement dans une logique de conflit de générations, et malgré tout le respect que l’on doit aux ténors du barreau, ceux avec qui nous avons notamment appris le métier, force est de constater qu’une sorte de coalition s’est mise en place pour barrer la route aux jeunes compétences dans l’accès à des postes aussi sensibles que celui de bâtonnier.
Un projet de loi concernant l’exercice de la profession d’avocat a émergé, visant de manière flagrante à porter atteinte aux principes constitutionnels, tout en déformant des trajectoires universelles qui prônent la valorisation des jeunes.
Ce projet est sur la table du ministre de la Justice. Il s’efforce de faire taire les voix des jeunes avocats, les reléguant à l’arrière-plan et les réduisant à de simples électeurs, notamment en portant atteinte à leur droit de se porter candidats au poste de bâtonnier.
Pour quelles raisons cette nouvelle mouture pour réglementer la profession d’avocat vous paraît-elle si décalée par rapport au futur du métier d’avocat ?
Ce projet de loi, dont l’une des conditions sine qua non pour se présenter à la fonction de bâtonnier exige une expérience professionnelle de plus de vingt ans, fait comme si le nombre d’années d’exercice représentait un critère absolu.
Pourtant, ce projet, élaboré et échangé dans la plus grande confidentialité, va à l’encontre de la volonté royale suprême. Le souverain a toujours appelé et rappelé à l’intégration des jeunes et au rajeunissement des institutions, particulièrement dans ce secteur hautement stratégique comme celui de la profession d’avocat.
En évoquant ce caractère stratégique, il suffit de rappeler que des partenaires du royaume, tels que la France, exigent seulement quatre années d’expérience pour être éligible au poste de bâtonnier, témoignant ainsi de leur foi en la jeunesse.
Le cas de Pierre Hoffman, élu bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris le 29 juin 2023 pour la mandature 2024-2025, est significatif puisqu’il a décroché cette fonction vers l’âge de la quarantaine.
C’est la jeunesse, source d’énergie créative et innovante, qui reflète le mieux les orientations ambitieuses du pays. Il est inconcevable que des avantages corporatistes prennent le pas sur cette dynamique, où toute fonction devrait d’abord être attribuée sur la base de la compétence professionnelle et non de l’ancienneté ou de tout autre critère.
À travers l’histoire, et dans tous les secteurs, la jeunesse a toujours été à l’avant-garde de l’innovation et de la moralisation. Ce qui afflige davantage, c’est que la marginalisation de la jeunesse freine le développement, privant le secteur, et plus largement l’État, d’opportunités sérieuses pour attirer et accompagner les investissements.
Nous traversons une période compliquée et même très difficile pour nombre de confrères et consœurs, et il apparaît aujourd’hui essentiel de se concentrer sur l’engagement de chacun au service de cette profession.
Pourquoi évoquez-vous une période compliquée s’agissant de l’exercice de ce métier ?
Nous nourrissons bien des espoirs dans nos réflexions et nos échanges avec nos confrères, mais également avec des avocats engagés politiquement. Si le réalisme devrait s’imposer pour les défis qui attendent cette profession, c’est plutôt le dogmatisme de certains qui ne satisfait ni les jeunes avocats, ni beaucoup de seniors qui sont, eux, beaucoup plus raisonnables.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux qui devraient être ceux de demain ?
L’un des enjeux essentiels est de rassembler tous les avocats et toutes les avocates de ce barreau sous un seul mot d’ordre : cette profession que nous exerçons tous avec la même robe nous impose de nous concentrer sur les défis que l’avenir compte bien nous imposer.
Nous devons retrouver cette unité perdue, à défaut de quoi il y a à craindre pour l’avenir de notre profession. Il nous appartient à présent de faire front, de nous unir et de transcender nos divergences.