Un homme tabassé par 3 policiers filmés par une caméra de surveillance
Paris, 17ème arrondissement, samedi 21 novembre. Aux alentours de 19h40, Michel, producteur de musique se fait passer à tabac par trois policiers dans l’entrée de son propre studio, sans raison apparente. Ce que les policiers ne savaient pas, c’est qu’ils ont été filmés par une caméra de vidéosurveillance. Les images sont révoltantes.
Près de quinze minutes de violence inexplicable et intolérable. C’est ce qu’a donné à voir le média Loopsider, dans une vidéo publiée le jeudi 26 novembre. On y voit trois policiers, dans la soirée du samedi 21 novembre, rouer de coups Michel, directeur général du Black Gold Corp Studios, dans le 17ème arrondissement de Paris, dans l’entrée de son propre studio de musique. Le début de l’histoire ? Michel ne portait pas de masque devant son studio. Il voit une voiture de police et rentre dans son studio. Les trois policiers le suivent alors discrètement, et rentrent illégalement dans le studio.
Dans cette enquête, le journaliste David Perrotin décortique minute après minute les conditions de l’interpellation choquante du producteur de musique : « plus d’une vingtaine de coups de poing », « une dizaine de coups de pieds », « ils étranglent la victime » et lui assènent « des coups de matraque également ».
Un rapport mensonger
Selon leur procès-verbal consulté par l’Agence France-Presse (AFP), les policiers ont tenté de l’interpeller pour défaut de port du masque. « Alors que nous tentons de l’intercepter, il nous entraîne de force dans le bâtiment », écrivent-ils. Mais les images de vidéosurveillance de ce studio, également consultées par l’AFP, démentent complètement leurs propos.
On y voit les trois policiers entrer dans le studio en saisissant et frappant l’homme à coups de poing, de pied ou de matraque. Dans leur rapport, les policiers ont écrit à plusieurs reprises que l’homme les avait frappés. Or, selon ces mêmes images, Michel résiste en refusant de se laisser embarquer, puis tente de se protéger le visage et le corps, mais ne semble pas porter de coups. La scène de lutte dure cinq minutes. Par ailleurs, l’homme, noir, aurait fait l’objet d’injures racistes de la part des policiers : « Sale nègre », « Ta gueule », « On va te défoncer ».
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« Il ne fallait pas que je lève les mains »
Sur les vidéos de Loopsider, Michel commente les images : « Je ne voulais pas avoir de gestes virulents qui allaient jouer contre moi par la suite. J’étais complètement conscient de ça ! Il ne fallait pas que je lève les mains, que je fasse quelque chose qui pourrait s’apparenter à quelque chose de violent. »
Michel appelle à l’aide plusieurs fois, ce qui alerte de jeunes artistes qui enregistraient à ce moment-là dans le sous-sol du studio de musique. Ils parviennent à rejoindre l’entrée et fermer la porte du studio. Les policiers tentent ensuite de forcer la porte et jettent à l’intérieur du studio une grenade lacrymogène. D’autres images dévoilées par Loopsider et tournées par des voisins montrent les policiers, qui avaient appelé du renfort, pointer leurs armes dans la rue et ordonner à Michel de sortir du studio. « À ce moment-là, je prends des coups de tous les côtés”, raconte-t-il.
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« Caméra, caméra ! On est filmés »
D’autres policiers armés vont chercher les jeunes au sous-sol. L’un d’eux raconte à Loopsider :
« Le premier policier n’avait même pas encore parlé, je me suis mis par terre directement, j’ai mis mes mains sur ma tête pour lui montrer qu’il n’y a rien du tout, parce que j’avais vraiment peur : je fais un faux geste, un geste trop brusque, il peut tirer sans faire exprès ! »
Lorsque les musiciens sortent des locaux du studio d’enregistrement, ils sont à leur tour tapés et mis à terre dans la rue. Les voisins continuent de filmer : « Dès que j’ai entendu les policiers dire : “Caméra, Caméra !”, “On est filmés”, ils ont arrêté de me frapper », relève ce jeune.
« Sans ces images-là, moi je suis en prison aujourd’hui »
Au commissariat, tandis que les jeunes sont relâchés après une prise d’identité, Michel, lui, est placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet de Paris pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ». Mais le parquet de Paris a finalement classé cette enquête et ouvert, mardi, une nouvelle procédure pour « violences par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « faux en écriture publique », confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Son avocate, Me Hafida El Ali, a dénoncé : « Mon client a fait quarante-huit heures de garde à vue de manière injustifiée sur des propos mensongers des services de police qui l’ont outrageusement violenté ». De son côté, Michel déclare que : « Sans ces images-là, moi je suis en prison aujourd’hui ».
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« Suspension à titre conservatoire »
Moins de deux heures après la publication de cette enquête, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fait savoir qu’il avait demandé au préfet de police de « suspendre à titre conservatoire » ces policiers. « Je me félicite que l’IGPN ait été saisie par la justice dès mardi. […] Je souhaite que la procédure disciplinaire puisse être conduite dans les plus brefs délais », écrit-il sur Twitter.
« Afin d’établir précisément les circonstances de l’interpellation de [cet homme], le préfet de police a saisi l’IGPN sur le plan administratif et a demandé au directeur général de la police nationale de suspendre à titre conservatoire les policiers impliqués », a précisé la Préfecture de police.
A la mi-journée, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a déclaré qu’il demandait à la « police des polices » d’enquêter « le plus rapidement possible » sur cette affaire. « C’est une affaire extrêmement importante à mes yeux et que je suis personnellement depuis samedi », a déclaré le procureur de la République.
L’Assemblée nationale a voté cette semaine la proposition de loi sécurité globale, qui contient le très controversé article 24. Celui-ci punit d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ». Ce texte, qui doit être examiné au Sénat, est fustigé par les journalistes et les défenseurs des libertés.
Avec AFP et Le Monde
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