Youssef Chahed limoge son ministre de l’Intérieur
Coup de tonnerre à la mi-journée de mercredi : dans un style télégraphique, la présidence du gouvernement annonce que le chef du gouvernement Youssef Chahed a décidé de démettre le ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem de ses fonctions et de le remplacer par Ghazi Jribi, actuel ministre de la Justice, en tant que ministre de l’Intérieur par intérim qui cumulera donc les deux fonctions. Le pays entre dans une crise ouverte de la gouvernance.
Pourquoi en ce jour du 6 juin 2018, jour sous haute tension sécuritaire sur fond de premier jour des examens de l'épreuve du baccalauréat ? Il n’est d’abord un secret pour personne que depuis le 29 mai dernier, date de l’allocution de Youssef Chahed où il a fustigé nommément le chef de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Esssebsi, en guise de représailles à ce dernier qui était à l’origine de la suspension du Document de Carthage, la Tunisie est entrée dans une imprévisible crise politique, une guerre qui ne dit pas son nom entre Carthage et la Kasbah.
En déplacement à Paris au moment des faits, le président Béji Caïd Essebsi avait, dès le lendemain de son retour, fait remplacer le chef d’Etat-major des armées, un signe fort d’une volonté de tenir les rênes du pouvoir.
Lotfi Brahem, une personnalité controversée
Mais l’accumulation de polémiques provoquées par Lotfi Brahem a vraisemblablement donné l’occasion à Chahed d’exercer à son tour pleinement ses prérogatives, en remplaçant de son côté le chef des forces de police.
Dans les coulisses du pouvoir, il se dit en effet que dès le remaniement ministériel de 2017, Brahem avait été imposé à Chahed. Une nomination très remarquée, car depuis 1987 et l’accession à ce poste par le général Habib Ammar, aucun homme du sérail policier, en uniforme, en l’occurrence issu de la Garde nationale, n’avait été promu à tel poste ministériel, à la tête de la « dékhiliyya ».
Dès les premiers mois de son mandat, Lotfi Brahem refait parler de lui à l’occasion d’un voyage officiel en Arabie Saoudite, où il aurait pris certaines latitudes avec le protocole, reçu en grande pompe par le royaume wahhabite.
Une polémique plus significative auprès de l’opinion publique a consisté en une déclaration autoritaire et clivante du ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem au premier jour du ramadan 2018, en assurant qu’il compte faire appliquer la circulaire de la fermeture systématique des cafés et restaurants, ce qui pour lui est un gage que « l’Etat protège la majorité pratiquante ».
Mais ce qui semble avoir précipité son départ, c’est que cet homme issu de la Garde nationale n’a rien pu faire contre le phénomène des embarcations de fortune de migrants, qui a été littéralement décuplé sous son mandat, jusqu’au naufrage de Kerkennah en début de semaine (55 morts), la tragédie la plus meurtrière du genre. Ce général n'a pas, non plus, pu venir à bout de la violence dans les stades, un fléau toujours d'actualité en Tunisie.
Plus récemment encore, le ministre sortant de l'Intérieur a montré son incapacité à faire exécuter un mandat d'amener de Najem Gharsalli, ancien ministre de l'Intérieur lui-même recherché.
Soucieux de rassurer ses partenaires européens, mais aussi sans doute d’assoir son pouvoir en marge de la lutte fratricide qui s’engage avec les autres branches de l’exécutif, le jeune Youssef Chahed ouvre donc les hostilités de manière spectaculaire. Affaire à suivre.
Seif Soudani
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