Tunisie. Violents heurts à Agareb sur fond d’« insurrection anti ordures »

 Tunisie. Violents heurts à Agareb sur fond d’« insurrection anti ordures »

Cela fait plusieurs semaines que la ville de Sfax, capitale économique du pays, croule sous l’amoncèlement des déchets ménagers. En cause, la fermeture notamment d’une déchèterie dans la localité voisine d’Agareb. Décidée par le ministère de l’Environnement, l’annonce hier soir de la réouverture de ce site ravive un contentieux que les riverains pensaient enterré. Des affrontements avec les forces de l’ordre dans la nuit de lundi à mardi ont fait plusieurs blessés et un mort dont les circonstances du décès sont contestées par les autorités.  

 

L’affaire remonte en réalité à 2019, lorsque la mort d’une fillette suite à une infection bactérienne suscite des doutes quant à la toxicité engendrée par la déchèterie. En août 2020, les habitants de Agareb, petite ville de 50 mille habitants, se félicitent d’avoir obtenu une décision judiciaire de fermeture d’un important dépotoir aux portes de la ville, qui n’a cessé de croître au point de causer diverses maladies, en sus de la gêne occasionnée par les moustiques et les mauvaises odeurs. Ils doivent alors militer de longs mois pour faire appliquer ladite décision.

Mais par effet domino et en l’absence d’alternative, ce n’est que début octobre 2021 que les conséquences tangibles de cette fermeture se font sentir sur le Grand Sfax et ses 700 mille habitants, donnant à voir un paysage de désolation où s’accumulent sur des kilomètres entiers des sachets poubelles et des détritus y compris hospitaliers et toxiques.

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Une gestion présidentielle aveuglée par le complotisme

Depuis que l’opinion publique s’est emparée du dossier, les sorties du président Kais Saïed sur la question présentent invariablement la même forme : des accusations contre un « ils », indéfini, désignant selon le Palais de Carthage une main invisible qui s’emploierait à dessein pour empêcher le ramassage des déchets et conduire à un pourrissement de la situation. Face à ces propos obscurs, certains ont d’abord pensé que le président visait l’ancien gouverneur de Sfax, sauf que ce dernier à depuis été limogé début août dernier par Saïed lui-même, en vain.

Cette gestion répressive et paranoïaque omet certaines réalités : le problème du ramassage des ordures est un fléau contemporain complexe et structurel, dont pâtissent régulièrement y compris des villes occidentales, voire de riches capitales européennes telles que Rome et sa crise des déchets en 2019.

Une conjonction de facteurs dont le tarissement des grands espaces aménagés à cet effet à l’ère de l’urbanisme, le manque de moyens pour l’acheminement et le recyclage, la multiplication des centres de décision, les grèves du personnel, etc. Une complexité que les rhétoriques populistes feignent opportunément de ne pas voir.

Dans l’urgence, il a donc été décidé d’opter pour la solution de facilité, un cache-misère de surcroit illégal, puisque ce forcing brave une décision de justice de fermeture définitive du site de Agareb, bien que pour justifier sa démarche, le ministère de tutelle promet des travaux d’extension et de réhabilitation.

Trop peu trop tard pour les riverains qui sont sortis hier soir en nombre manifester leur colère, réprimés par des gaz lacrymogènes. Un jeune décèdera selon sa famille des suites d’asphyxie au gaz, en attendant que l’autopsie se prononce sur ce décès.