[Vidéo] Interview Héla Yousfi, auteur de « l’UGTT, une passion tunisienne »
« Ouvrir cette boite noire qu’est l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens », tel est l’ambitieux projet que se propose Héla Yousfi, sociologue des organisations. Dans son ouvrage sous-titré « Enquête sur les syndicalistes en révolution », l’universitaire enseignante à l’Université Paris Dauphine se focalise plus précisément sur l’action, notamment politique, de la centrale syndicale durant la période 2011 – 2014, du déclenchement de la révolution de la dignité jusqu’au dialogue national. Entretien.
A la fois recueil de témoignages de gens du sérail syndicaliste, bilan critique, et enquête sur les divers clivages qui traversent l’UGTT en cette période de mutations où le principal syndicat joue un rôle clé grandissant dans le paysage politique et social tunisien, le livre est aussi celui d’une chercheuse, ayant la légitimité filiale (fille de parents militants syndicalistes) et intellectuelle pour s’emparer d’un sujet complexe.
Héla Yousfi y explique que, dès sa genèse à l’aune des luttes de décolonisation, l’UGTT endosse un rôle éminemment politique, indissociable de sa vocation plus classique de défense des travailleurs. Devenue une force d’arbitrage, voire le principal régulateur de la vie politique avec l’affaiblissement de l’Etat, en marge du dialogue national, l’UGTT fait cependant face à des critiques autour de sa politisation accrue, et d’un « consensus de classes » conclu avec la classe politique, aux dépens de sa disposition à être une force de proposition.
Un épisode qui a attisé le clivage historique entre ce l’auteur appelle la bureaucratie syndicale, encline à la continuité institutionnelle, et une aile plus radicale en faveur d’une rupture avec l’ancien régime.
Avec les récents évènements qui secouent le bassin minier, l’anti syndicalisme primaire reprend du poil de la bête : pouvoir, certains médias mais aussi une partie de l’opinion publique n’hésitent plus à diaboliser l’action syndicale, « responsable de tous les maux », jusqu’à tenir parfois un discours proprement fasciste. A la croisée des chemins, consurrencée au sein d’un pluralisme syndical nouveau, l’UGTT devra choisir entre perpétuer un l’équilibre soft et revenir aux sources de la lutte d’émancipation allant bien au-delà des revendications salariales.
Seif Soudani