Vers une instabilité politique qui s’installe dans la durée

 Vers une instabilité politique qui s’installe dans la durée

Kais Saïed (sorti favori au premier tour)


De l'avis de la plupart des observateurs sérieux de la scène politique tunisienne, aucun parti ni liste indépendante ne devrait être en capacité d'obtenir plus de 35 sièges aux élections législatives du 6 octobre (soit environ l'équivalent de 300 mille voix).


Cela veut non seulement dire une Assemblée très éclatée, mais aussi très hétéroclite, les futurs blocs parlementaires n'ayant, au mieux, que très peu d'affinités idéologiques entre eux, quand ils ne sont pas en guerre ouverte existentielle les uns contre les autres.


Le parti de Nabil Karoui est dans une logique de confrontation frontale avec tout le monde, tout comme « 3ich Tounsi » qui suscite la méfiance générale. La Coalition Dignité du souverainiste Seif Eddine Makhlouf, force la plus proche intellectuellement de la vague Kaïs Saïed, commence à afficher de profonds différends avec ce dernier, et en a davantage encore avec Ennahdha, ayant accumulé les contentieux irréconciliables avec les islamo-pragmatistes.


 


Plusieurs scénarios d’impasse


En 2014, le charismatique Béji Caïd Essebsi avait rapidement pu imposer la figure effacée de Habib Essid comme chef de gouvernement aux allures de Premier ministre. Aujourd’hui, le narratif du « mode de vie menacé » des Tunisiens ne mobilise plus les électeurs, et tout indique que nous serons très loin des 86 et 69 sièges obtenus à l’époque respectivement par Nidaa Tounes et Ennahdha, permettant de gouverner confortablement au nom du consensus national qui a volé en éclats depuis.


Cette situation va résulter dans un premier temps en un blocage institutionnel qui pourrait durer plusieurs mois, étant donnée l'extrême difficulté de s'entendre dans ces conditions sur une personnalité en mesure de constituer un gouvernement. L'article 89 de la Constitution stipule en effet que :


« Dans un délai d’une semaine après la proclamation des résultats définitifs des élections, le Président de la République charge le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, de former le gouvernement dans un délai d’un mois pouvant être prorogé une seule fois. En cas d’égalité du nombre des sièges, la nomination s’effectue selon le nombre de voix obtenues.


Si le délai indiqué expire sans parvenir à la formation d’un gouvernement, ou si la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple n’est pas accordée, le Président de la République engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte, en vue de former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois.


Si, dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le Président de la République peut décider la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple et l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours ».


 


La possibilité d’un ostracisme présidentiel


Cette hétérogénéité du paysage politique actuel va sans doute par ailleurs encourager une posture arbitrale du mandat de la présidence de la République, avec un favori, Kais Saïed déjà enclin à endosser le costume du théoricien isolé dans sa tour d'ivoire.


Si toutefois Saïed choisit de faire le forcing pour son projet de « démocratie radicale » et de réforme du mode de gouvernance, avec notamment l'utopie des conseils locaux nouvelle source du pouvoir, cela pourrait se retourner contre lui, les députés pouvant alors agir en vertu de l'article 88 et destituer le président de la République pour « violation manifeste de la Constitution », pour ensuite reconvoquer une élection présidentielle.


Mais même sans aller jusque-là, le spectre d'une instabilité politique se dessine et semble inévitable dans les mois à venir. Un climat anxiogène qui explique les tentatives de fuite de capitaux observées aux points de sortie dans les ports et les aéroports du pays ces jours-ci. Une instabilité qui risque de se traduire par un nouveau gouvernement tous les 6 mois, comme cela s'est produit et se produit encore à nos portes en Italie, un pays industrialisé qui peut quant à lui se permettre ce caprice sans trop de dégâts.