Tunisie. Vers une désertification de la vie politique

 Tunisie. Vers une désertification de la vie politique

Le prochain Parlement comptera 161 députés. Parmi eux, nombreux seront les élus avec moins de 400 voix, soit le minimum des parrainages requis pour se présenter aux législatives

24 heures après l’annonce des résultats officiels définitifs du premier tour des législatives, le pays vit encore au rythme des répliques du séisme politique provoqué par le taux de participation dérisoire de 11,22%.  

Chez les apologistes du nouveau pouvoir, il existe une posture insidieuse, qui tente d’instrumentaliser ce désaveu à la faveur d’un sophisme : ce taux de 11,22% serait bien la preuve que nous ne somme pas sous régime autoritaire, encore moins une dictature capable de falsifier comme au bon vieux temps les résultats des élections.

Mais ce que cette rhétorique omet d’expliquer, c’est la nature singulière de la doctrine saïdiste, qui s’articule davantage autour de l’idée d’une dictature populaire que des seuls ressorts d’un Etat parti ou d’un Etat purement policier.

Par le biais d’une forme de déni, le président Kais Saïed a en effet jusqu’au bout cru en la chimère d’un peuple vertueux, la Tunisie d’en bas, les laissés pour compte d’avant et d’après révolution, qui envahiraient comme un seul homme les bureaux de vote. Il y a 1 an, le même Saïed n’avait-il pas avancé sans sourciller qu’1,8 million de manifestants étaient dans la rue pour le soutenir, là où ils n’étaient en réalité que moins de 5000 ?

La même fuite en avant discursive transparaît également dans le communiqué de la présidence publié lundi, qui tente de minimiser la portée du taux de participation, tel un détail auquel seuls les corrompus ou les gens de mauvaise foi accorderaient de l’importance.

Les laudateurs affichés ou inconscients du saïdisme gratifient par ailleurs souvent l’opinion d’un argument du même type : la presse est encore relativement libre, n’est-ce pas ? Comment dans ces conditions oser faire un procès d’intention à ceux qui dans leur infinie mansuétude permettent encore une libre expression ? C’est feindre de ne pas comprendre que s’il s’est avéré que la jeune démocratie tunisienne était un fragile château de cartes, réduire au silence 11 ans de liberté d’expression ne se fait guère du jour au lendemain.

C’est parce que le processus de restauration d’un régime dur prend du temps, que la mise en place d’une autorité électorale totalement inféodée au Palais n’est pas encore chose aisée. D’autant que l’ISIE fut récemment épinglée pour ses grossières présumées « erreurs de calcul » lors du décompte des voix du référendum du 25 juillet dernier.

 

« Le président est parvenu à assécher la vie politique »

Pour le politologue Vincent Geisser, « Ces élections législatives représentaient un paradoxe car elles visaient à signer l’acte de marginalisation du Parlement. Les électeurs ont compris que cela ne servait à rien d’élire des députés qui n’auront que des pouvoirs mineurs […]. Même si Kaïs Saïed a déçu les électeurs, cette abstention record ne signifie pas qu’il y a une opposition radicale qui se serait formée contre le président », nuance cependant la même source.

« Ce désaveu à l’égard du processus électoral est plutôt le signe d’une résignation générale, d’un dégoût, d’un désenchantement populaire à l’égard du politique », tempère Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam).

Mais tout comme le nouveau pouvoir a dédaigné la fin de non-recevoir du Parlement européen qui a refusé de venir observer ces élections législatives, en mettant en avant les alternatives que constituent à ses yeux les observateurs russes et les observateurs africains, il y a fort à parier que le chef de l’Etat continuera de faire cavalier seul. Pressenti pour occuper la fonction de président du futur Parlement, l’ancien bâtonier Ibrahim Bouderbala a affirmé dans le même ordre d’idées que « les Tunisiens qui ont participé à ces élections sont les vrais patriotes, tandis que ceux qui ne l’ont pas fait sont des nonchalants ».

Dans la quasi indifférence générale, le secrétaire général du parti d’opposition Attayar, Ghazi Chaouachi, a démissionné mardi avec d’autres cadres du parti, vraisemblablement en raison de deux postures inconciliables : celle pour qui le temps est à l’oblitération des idéologies pour faire front uni contre le nouveau pouvoir, et celle pour qui il est inconcevable de servir l’islam politique en manifestant à ses côtés. Une aubaine pour Carthage qui ne pouvait rêver en l’occurrence meilleur scénario.