Tunisie. Vers un dialogue national « impérial »
Sans doute conscient d’avoir atteint un paroxysme autoritaire avec la dissolution du Parlement et les poursuites judiciaires engagées contre une centaine de députés pour « complot en bande organisée contre la sûreté de l’Etat », le régime a entrepris l’entame d’une forme assez particulière de dialogue national.
Sans que la chose n’ait été explicitement désignée par la présidence de la République comme étant un dialogue, depuis le 1er avril le Palais de Carthage voit défiler les représentants de diverses organisations nationales, à l’exception notable des partis politiques.
Dans ce qui s’apparente à de prudents préparatifs en vue d’un dialogue national encore aussi timide qu’incertain, Kais Saïed a jusqu’ici reçu tour à tour une délégation des bureaux exécutifs de la centrale syndicale UGTT et de la centrale patronale UTICA, le doyen de l’ordre national des avocats, Brahim Bouderbala, la présidente de l’Union nationale de la femme, Radhia Jerbi, le président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, Jamel Mouslem, et surtout le vice-président de l’Instance indépendante pour les élections (ISIE), Farouk Bouasker.
Orthodoxie formelle et retour au parti unique
Du point de vue de la forme, il s’agit d’une simple réception linéaire, à tour de rôle, de personnalités connues pour leur relatif alignement avec les mesures d’exception dignes d’un monarque, prises par la présidence depuis le 25 juillet 2021. Les intéressés qui se prêtent au jeu de cette configuration sont priés de faire une brève déclaration convenue à la sortie de l’entrevue.
Dans une déclaration précédant le ballet de ces rencontres, le président Saïed avait déjà conditionné cet ersatz de « dialogue » au fait qu’il se fasse impérativement sur la base des résultats de la consultation électronique populaire. Des résultats qui montreraient que « le peuple » veut notamment un retour au régime présidentiel. La messe est dite. En somme, ce dialogue exclut donc d’emblée un certain nombre de fondamentaux de tout débat.
Mais ce qui a attiré l’attention des observateurs, c’est la réception le 4 avril du vice-président de l’ISIE. Carthage serait-il ainsi revenu sur sa position de dénigrement de cette instance chargée de superviser les élections depuis 2011 ?
« On dit qu’elle est supérieure et indépendante », avait récemment nargué le président Kais Saïed l’ISIE sur le ton de la moquerie, après avoir démantelé d’autres instances indépendantes créées par la Constitution de la IIe République. Des propos manifestement en réaction à ceux du président de l’ISIE, Nabil Baffoun, qui avait émis des réserves sur la constitutionnalité de la suspension du Parlement dès le 26 juillet 2021. Ce qui explique probablement que ce n’est pas Baffoun qui fut invité au Palais, mais son assistant.
Jusqu’ici, le bruit courait que le ministère de l’Intérieur ferait son grand retour à la supervision des élections. Reste à savoir comment une ISIE qui se respecte gèrerait des élections législatives où tout indique que l’on se dirige vers l’exclusion d’un certain nombre de partis politiques, le pluralisme et la démocratie représentative « appartenant au passé » à en croire les adeptes du « Saïdisme ».
Devoir jongler entre les standards internationaux en matière d’élections libres et de bonne gouvernance d’une part, et l’entrée du pays dans un forcing pour imposer une refonte vers une démocratie dite participative directe d’autre part, tel sera le défi auquel serait confiée cette institution, si tant est qu’elle survive au bulldozer enclenché depuis 9 mois.