Tunisie. Urgent – Sommet de la Francophonie reporté à 2022 : décryptage d’un échec
La décision a été prise en fin de journée mardi 12 octobre 2021, suite à la réunion du Conseil permanent de la Francophonie : le Sommet de la Francophonie est a priori maintenu à Djerba, mais pas en novembre 2021. Il est reporté d’une année entière, pour l’« automne 2022 ». Un report qui sonne comme un coup de semonce.
Politiquement, ce second report, après celui motivé par l’épidémie de Coronavirus en 2020, constitue cette fois un terrible camouflet pour l’actuel régime tunisien en proie à de vives critiques à l’international depuis le coup de force du 25 juillet. Economiquement, la désillusion est grande pour l’île de Djerba qui y a cru jusqu’au bout pour sauver une saison touristique convalescente. Les travaux d’aménagement allaient bon train encore aujourd’hui, avec la plantation de 500 arbres le long de la route de l’aéroport.
C’est l’ancien ministre tunisien de l’Enseignement supérieur et actuel recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Slim Khalbous, qui fut le premier à officialiser l’annonce du report dans une publication sur les réseaux sociaux. S’employant à visiblement faire contre mauvaise fortune bon cœur, l’homme tente de faire diversion en se focalisant sur le fait que le Sommet de la Francophonie qui devait se dérouler fin novembre à Djerba « a été maintenu », ce qui selon lui constitue en soi « un succès de la diplomatie tunisienne ».
On comprend alors que l’objectif fut d’éviter la catastrophe intégrale qu’aurait été une annulation pure et simple et un déplacement du sommet en France, comme certaines sources le suggéraient depuis déjà plusieurs semaines. Mais les plus pessimistes ne sont pas dupes… Pour eux ce « report » est probablement une annulation qui ne dit pas son nom, l’enjeu étant de sauver la face des minimas diplomatiques entre l’OIF et la France d’un côté, et la Tunisie de l’autre.
Un report pressenti, précipité par une conjonction de facteurs
Les deux visites au Palais de Carthage de la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo, d’abord le 11 juin dernier puis samedi 9 octobre, n’y auront donc rien fait. Pourtant, au lendemain de cette dernière visite et jusqu’au jour d’aujourd’hui mardi, des spots télévisés de la TV nationale ont continué à diffuser un message vantant la disposition du pays à recevoir le Sommet « dans les meilleures conditions ».
Dans les coulisses de l’organisation cependant, la logistique patine, et l’impréparation est un secret de polichinelle chez les contractants les plus au fait de l’avancement des préparatifs. Mais cet aspect ne fut sans doute pas le plus déterminant dans la décision du report. « The elephant in the room », le tabou que certains s’interdisent d’évoquer, c’est bien « l’instabilité politique » évoquée dans les coulisses du report.
Concomitamment avec la visite de Mushikiwabo, et comme pour la dédouaner du fardeau du report, l’influent Jean-Louis Roy Secrétaire général honoraire de la Francophonie publiait dès samedi une tribune titrée aussi sobrement que fermement « Reporter le Sommet de la Francophonie », un texte qui sonne comme une injonction.
On y lit parmi d’autres amabilités que « Si la pandémie semble ne plus être un obstacle, dans l’intervalle, une autre infection s’est abattue sur la Tunisie ces trois derniers mois. Le virus qu’elle porte s’attaque aux valeurs démocratiques, à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs et aux droits de la personne ». Le ton est donné : la teneur de ces paroles vient rappeler qu’il en va de la crédibilité de l’OIF pour qui la francophonie est aussi une affaire de promotion des valeurs universelles. Pour Jean-Louis Roy, il s’agit de ne donner aucune caution au président Saïed, du moins tant que la dérive autocratique en cours sera en vigueur.
On peut y lire plus loin que « Les délégations du Canada, du Québec et du Nouveau-Brunswick et celles de tous les pays membres de la Francophonie seront accueillies par le président Kais Saied, le chef de l’État tunisien. En juillet dernier, ce dernier a renvoyé le premier ministre, suspendu le Parlement et levé l’immunité de tous ses membres. De plus, il s’est octroyé les pleins pouvoirs judiciaires confiés à des tribunaux militaires. Des parlementaires ont été arrêtés, des journalistes attaqués, des personnalités assignées à résidence, et un grand nombre interdites de voyager à l’étranger. Enfin, en septembre dernier, le président Kais Saied a suspendu la Constitution et annoncé qu’il gouvernerait par décrets et présiderait lui-même le pouvoir exécutif. Pour lui, les décrets présidentiels ont une valeur supérieure aux dispositions constitutionnelles. Cette posture sera mise en œuvre au moment même où le sommet doit se réunir. »
« Pour éviter un acte manqué dont la Francophonie n’a pas les moyens, ce sommet doit être reporté, et les motifs de ce report évoqués avec clarté », conclut Roy, sans langue de bois donc.
L’incident n’est pas sans rappeler le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui avait été co-organisé en 2005 par la Suisse et la Tunisie de Ben Ali, un évènement ponctué par un type de mésaventures qu’il s’agit pour l’OIF aujourd’hui d’éviter à tout prix.
Publiée dans le Monde le 10 octobre, une tribune signée par un collectif de personnalités publiques françaises et tunisiennes titrée « Sur la régression des droits en Tunisie, la communauté internationale ne doit plus détourner le regard » n’a assurément pas aidé à plaider en faveur d’un maintien du sommet comme si de rien n’était.
Dans son allocution lundi, le président Saïed a accusé « certaines parties de comploter auprès de la France contre les intérêts de la Tunisie » via une allusion notamment à l’ancien président Moncef Marzouki. Une accusation qui ne convainc pas une partie de la société civile en Tunisie, pour qui nul ne peut dissuader à lui seul une cinquantaine de pays participants de prendre part au Sommet.