Tunisie. Une nouvelle troïka du Maghreb à l’utilité contestée

 Tunisie. Une nouvelle troïka du Maghreb à l’utilité contestée

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le chef du Conseil présidentiel libyen Mohamed El Menfi prenaient part, sur invitation du président de la République, Kaïs Saïed, à la première réunion consultative entre les dirigeants des trois pays

A l’issue d’une réunion tripartite inaugurale tenue lundi 22 avril à Tunis pilotée en apparence par Carthage, les dirigeants tunisien, algérien et libyen ont souligné dans une déclaration commune « la nécessité d’unifier les vues et les positions et d’œuvrer à collaborer ensemble en vue de raffermir la tradition de concertation autour des différentes questions d’intérêt commun ». Des slogans bien creux aux yeux de bon nombre de commentateurs et observateurs de la région, à qui n’a pas échappé l’absence remarquée du Maroc.

 

Lue en grande pompe par le ministre des Affaires étrangères tunisien, Nabil Ammar, cette déclaration finale au terme des travaux de la réunion dite « de concertation » insiste sur l’engagement commun des dirigeants des trois pays, à l’issue d’une série de « consultations franches et constructives », de veiller à ce que cette réunion soit tenue de « manière régulière en alternance entre les trois pays », de manière semestrielle promet-on.

 

Une entité souverainiste, pour quoi faire ?

Officiellement du moins, l’objectif affiché est d’« unifier les positions et les visions et d’intensifier la consultation et la coordination afin renforcer les attributs de la sécurité, de la stabilité et du développement dans la région tout entière et d’asseoir davantage son invulnérabilité, notamment, à la lumière de l’émergence des mutations régionales et internationales récurrentes et rapides dont aucun pays ne peut à lui seul parvenir à faire face à ses répercussions ».

Les trois dirigeants soulignent « la nécessité impérieuse d’œuvrer à ce que leurs pays se dotent d’une voix à la mesure d’une présence influente au sein des différents espaces d’appartenance régionale et internationale ». On nous assure également qu’il s’agit d’enrichir la coopération au service de la sécurité, de la stabilité et du développement dans la région « loin de la politique des axes » et des « périls découlant des tentatives d’ingérence étrangère », selon un lexique cher à Kais Saïed.

Mais que se cache réellement derrière ces déclarations d’intentions aussi vagues qu’opaques, et dont la cérémonie a soigneusement exclu toute présence de la presse hormis le seul canal de la TV publique ? Aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent déjà pour critiquer dans les médias tunisiens notamment une « simple mise en scène au format suranné, non sans rappeler les dernières décennies où d’autres dirigeants arabes s’étaient aussi tenus par la main et entonné des formules emphatiques sans que cela ne débouche sur quoi que ce soit », rappelle l’ancien diplomate tunisien Abdallah Labidi.

Si les trois acteurs ont réaffirmé leur attachement à « l’indépendance de leur décision nationale émanant de la volonté de leurs peuples et leur souci d’établir des relations avec d’autres pays et groupements régionaux et internationaux sur la base du respect mutuel et de la non-ingérence dans les affaires intérieures », l’analyse Mohamed Salah Labidi soutient pour sa part que l’histoire y compris contemporaine de ces trois voisins montre qu’ils sont en réalité peu enclins à collaborer de façon significative économiquement :

« Ce sont des systèmes fermés, régis par le clientélisme, l’économie de rente des familles en Tunisie, le règne de l’armée en Algérie, et l’instabilité chronique en Libye. Tout laisse à penser par conséquent que la principale motivation de ces tractations est sécuritaire et anti migratoire, l’Algérie ayant estimé que la Tunisie a récemment fait cavalier seul dans ses négociations avec l’Italie et l’UE, tandis que cette troïka est prête à verrouiller davantage encore ses portes aux subsahariens ».

Or, dans un même ordre d’idées plutôt grandiloquent, les trois présidents ont souligné leur adhésion à l’instauration d’un ordre international « multilatéral » consacrant des relations internationales « solidaires », « justes » et équitables centrées autour de l’égalité de tous devant le Droit international. Tout un programme. Mais à moins de 6 mois du scrutin présidentiel en Tunisie, cette grand-messe traduit surtout pour l’opposition tunisienne la volonté pour le président Saïed, féru de symboles, de se donner une stature historique et géopolitique qu’il peine à acquérir.