Tunisie. Une Fête de la Femme placée sous le signe de la contestation

 Tunisie. Une Fête de la Femme placée sous le signe de la contestation

Organisée par la Dynamique féministe en collaboration avec de nombreuses associations, des ONG, des organisations nationales partenaires mais aussi des partis d’opposition, une marche féministe a eu lieu Avenue Habib Bourguiba, rassemblant un nombre important de manifestantes.

Au centre-ville de Tunis, le cortège a entamé son trajet Place Mohamed Ali, haut lieu historique du syndicalisme tunisien, pour se diriger ensuite vers l’Avenue Habib Bourguiba. Mais cette année, la journée d’ordinaire festive revêtait une dimension singulière : loin d’être une fête rituelle, elle est l’occasion d’une protestation contre la célébration de la Journée nationale de la femme tunisienne, jugée « inappropriée » par les manifestantes et manifestants, en raison de ce qu’ils considèrent comme « une persistance des violations des droits des femmes et des restrictions sur les libertés », ainsi que de « nombreuses atteintes aux droits politiques et civils ».

Présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Naïla Zoghalmi a expliqué que cette commémoration revêtait un caractère revendicatif, étant donné « le recul patent » des acquis sociétaux et surtout de la présence de nombreuses femmes en détention, à l’image de l’avocate Sonia Dahmani, arrêtée de manière musclée en mai dernier. Zoghlami a notamment appelé à la libération immédiate de toutes les détenues à cause de leurs activités publiques, à l’arrêt des poursuites contre les militantes, journalistes, et femmes engagées de diverses orientations idéologiques et politiques, ainsi qu’à la restauration d’une séparation entre pouvoir exécutif et du judiciaire.

 

Une fête endeuillée par un accident meurtrier

Cependant durant la même journée, un tragique accident de la route a eu lieu près de la commune de la Oueslatia, dans le gouvernorat de Kairouan au centre du pays, venant rappeler à l’opinion l’existence de deux réalités sociales que tout sépare. L’incident routier a en effet entraîné la mort d’une ouvrière agricole sur le coup, et a blessé une dizaines d’autres personnes, dont 7 femmes ouvrières et 3 hommes.

Directeur régional de la santé de Kairouan, Maâmar Hajji a indiqué que parmi les blessés, trois se trouvent dans un état critique et reçoivent des soins intensifs à l’hôpital universitaire Ibn El-Jazzar à Kairouan. L’accident en question, de type féquent en milieu rural, a impliqué le renversement d’un camion transportant 8 femmes et 3 hommes, y compris le conducteur, alors qu’ils revenaient de la récolte de la plante « écarlate » dans la région de Oued El-Kseb.

Or, survenu le jour de la « fête » de la Femme, cet « accident de trop » a davantage encore exacerbé la frustration et l’indignation des proches des victimes, qui se sont précipités en masse à l’hôpital. La Journée censée célébrer les droits et les réalisations des femmes a ainsi replacé au centre des débats les conditions de travail particulièrement précaires et inhumaines auxquelles sont confrontées les femmes rurales en Tunisie, et ce malgré les nombreuses promesses d’amélioration de leur situation.

L’épisode a par ailleurs eu lieu précisément au moment où le président et candidat à sa propre succession Kais Saïed s’était rendu symboliquement à Sidi Bouzid, comme il aime à le faire chaque 13 août en choisissant une destination aux antipodes des milieux dits bourgeois du « féminisme des élites ». Un « choix électoraliste » pour l’opposition pour qui les slogans n’ont visiblement rien solutionné en cinq années de mandat, dont trois années de pouvoir absolu.

Seif Soudani