Une enseignante « excommuniée » de son école pour athéisme
C’est une rentrée bien mouvementée qu’a connue l’école primaire de la Cité El Bahri 3 à Sfax. Datant du 16 septembre, une séquence vidéo a fait le buzz sur les réseaux sociaux : on y voit un groupe de parents d’élèves en colère aux abords de l’école, réclamer le renvoi d’une enseignante au motif qu’elle serait « athée ».
Déboussolés, des élèves assistant à la scène semblent embarrassés, tandis que d’autres qui esquissent un sourire narquois, prennent part à cette humiliation publique de leur propre institutrice. Les parents, essentiellement des mères d’élèves, qui accusent d’« athéisme » l’enseignante Faïza Souissi dénoncent la « mauvaise influence qu’elle pourrait exercer sur leurs enfants ». Une scène presque moyenâgeuse, où des parents s’érigent en inquisiteurs. En off, d’autres l’accusent de potentiels « rituels sataniques » et d’ « incitation à l’apostasie »…
Suite à l’incident, l’Association féministe des Femme démocrates (ATFD) à Sfax a exprimé, dans un communiqué rendu public hier samedi 16 septembre 2017, son soutien à l’enseignante et a affirmé que les allégations propagées par certains médias l’accusant d’entraver le bon déroulement des cours n’ont aucun fondement. « Ce sont, plutôt, lesdits parents qui ont créé cette tension et cette situation d’anarchie à l’intérieur de l’établissement scolaire », peut-on y lire.
L’enseignante, elle-même membre de la section ATFD Sfax, a fait l’objet d’une campagne de dénigrement, relève l’association « allant jusqu’à la traiter de mécréante tout en l’empêchant de dispenser ses cours à l’école primaire de la Cité El Bahri 3 de la part d’un groupe de parents barbus, ce qui a nécessité son évacuation sous escorte sécuritaire »
L’Association appelle enfin les autorités régionales à mettre un terme à « ces pratiques moyenâgeuses constatées, chaque année, contre plusieurs enseignantes et enseignants » dans la ville conservatrice de Sfax, capitale économique du sud du pays, et réclame des poursuites judiciaires à l’encontre des agresseurs et une protection des éducateurs et de l’institution scolaire.
Le ministère de tutelle ouvre une enquête
Le ministère de l’Education a condamné à son tour l’agression de l’enseignante Faïza Souissi, la qualifiant d’« inadmissible ». Le nouveau ministre Hatem Ben Salem a annoncé l’ouverture d’une enquête dans l’école en question pour déterminer les responsabilités et éviter que ce genre d’incident ne se reproduise.
Fraîchement arrivé à Bab Bnet, au ministère qu’il a bien connu durant les années 2000, Ben Salem a affirmé qu’il est « le seul apte à juger le rendu pédagogique de chaque enseignant » tout en soulignant le rôle important des parents en tant que partenaires du système éducatif.
Pour rappeler les faits, une vidéo avait fait le tour des réseaux sociaux depuis samedi 16 septembre 2017. On y voit un groupe de parents d’élèves, furieux, agglutinés devant une école réclamant le renvoi d’une enseignante. Ils l’accusent d’athéisme et dénoncent la «mauvaise» influence qu’elle pourrait exercer sur leur progéniture.
Intervention des forces de l’ordre et protection rapprochée
Mais les parents d’élèves sont revenus à la charge, ce lundi matin 18 septembre 2017, en empêchant « l’enseignante mécréante » d’entrer en classe. Ils se sont en effet physiquement interposés devant la porte d’entrée des enseignants pour les empêcher d’entrer ou de sortir.
L’intervention de la force publique a été nécessaire selon des témoins pour permettre à l’enseignante d’accéder à l’école et même l’intervention policière n’a pas suffi à faire reculer les parents protestataires. Certains parents ont dû être arrêtés par les policiers, laissant présager de la poursuite de la polémique qui tend à devenir un débat de société, au moment où l’on pensait la question réglée par la constitution de la 2ème République censée garantir la liberté de conscience de chacun.
Dans un entretien accordé à une radio nationale, l’institutrice affirme que depuis la rentrée, des parents lui reprochent essentiellement de « fermer les volets et la porte de la classe pendant la prière du vendredi et d’encourager les fillettes à enlever le hijab ». En guise de défense, l’enseignante qui a 34 ans d’ancienneté a déclaré que l’ensemble de ses cours étaient programmés le matin et ne coïncident donc pas avec des heures de prière.
Dans une prise de position publique, la députée Ennahdha Yamina Zoghlami a exprimé son soutien à l’enseignante, affirmant que « nul ne peut s’ériger en juge et partie à la place de l’Etat pour punir la fonctionnaire, quand bien même les dépassements présumés seraient avérés ».
S.S