Une démission collective fait imploser le parti de Marzouki

 Une démission collective fait imploser le parti de Marzouki

Bureau politique du parti


L’ensemble des dirigeants des instances de l’ancien parti présidentiel « Al Harak », soit une centaine de membres, annoncent leur démission collective, ce qui revient de facto à dissoudre ledit parti. Si ce dernier avait été marginalisé depuis les dernières élections législatives et municipales, cette dissolution n’en reste pas moins hautement symbolique : elle signe la fin de l’entité la plus emblématique du Printemps arabe. Décryptage.


L’écrasante majorité des leaders du parti politique dirigé de façon honorifique par l’ancien président provisoire Moncef Marzouk, « Harak Tounes Al Irada », ont donc présenté leur démission, une escalade pressentie depuis le congrès particulièrement houleux du parti en juillet dernier, ce qui le vide aujourd’hui de toute substance. En clair, le 20 septembre 2018, hormis la bâtisse abritant ses locaux à Menzah 6 à Tunis, le parti n’existe plus que sur le papier.    


Dans un texte à la fois laconique et explicite, publié également sur les réseaux sociaux, les démissionnaires expliquent qu’ils se sont trouvés « dans l’incapacité d’apporter les ajustements souhaités au parti sur le plan politique ».


Parmi les démissionnaires, Tarek Kahlaoui et Adnen Mansar, respectivement considérés comme numéro 3 et numéro 2 du parti. Deux hommes pourtant réputés proches de l’ancien président de la République Marzouki, Mansar ayant été notamment son chef de cabinet au Palais de Carthage jusqu’en 2014, puis son bras droit et chef de campagne électorale.


 


« Une dérive autocratique » du parti émanation de la révolution ?


Dans le même communiqué, les « harakistes » expliquent que le parti serait devenu « sous l’emprise d’une seule personne » et que « l’unique objectif y était désormais la prochaine élection présidentielle, au mépris de l’avis de ses cadres » sur un certain nombre d’autres sujets dont la proximité avec la Turquie d’Erdogan et le Qatar.  


Deuxième volet du texte de démission, les signataires y expliquent que la ligne politique d’Al Irada ne serait plus indépendante : « Al Irada s’est mis sous l’aile de l’un des partis au pouvoir [Ennahdha, ndlr] sur la base de calculs purement électoraux en lien direct avec les échéances présidentielles ».


Cependant il s’agit là de deux points qui ne convainquent pas outre mesure l’opinion publique. Supplanté dans son rang de troisième force politique du pays depuis la fin de l’ère de la troïka (2011 – 2014) par le Front populaire, l’ADN idéologique du parti issu du CPR (gauche souverainiste sociétalement conservatrice) n’a pas séduit sur la durée des bases populaires suffisamment larges dans un pays très polarisé entre destouriens et islamistes.


La configuration du parti ensuite, cristallisée autour de la figure charismatique de l’intellectuel Moncef Marzouki, en a fatalement fait un parti exclusivement compétitif dans le scrutin universel direct de la présidentiel, Ennahdha n’aspirant pas traditionnellement à occuper le Palais de Carthage, et les électeurs islamistes appréciant le caractère relativement conservateur de la pensée marzoukiste.  


Pour toutes ces raisons, reprocher aujourd’hui à un Moncef Marzouki conscient de ses limites, de vouloir faire valoir ses forces, « tient de la mauvaise foi » selon un certain nombre d’analyses à chaud de cette dissolution qui apparaît davantage comme une prise de conscience tardive de la taille du parti, au lendemain des municipales où il n’a pu glaner que deux petites mairies, alors que les soulèvements arabes pour lesquels s’était enthousiasmé le chef du parti (Libye, Egypte, Syrie, Yemen, etc.) sont mâtés les uns après les autres.


Si le parti s’éteint aujourd’hui, le feuilleton de sa liquidation ne semble pas pour autant terminé. Autre ancienne importante figure du parti, l'ex ministre Salim Ben Hamidane s’est en effet livré jeudi sur sa page Facebook à un règlement de compte, accusant les deux leaders démissionnaires de vouloir couvrir leur échec dans la gestion du parti, tout en révélant leur propres tentatives d’approcher Ennahdha lors des élections de la Constituante.


Particularité tunisienne, au moment où le pouvoir est affaibli par des crises intestines, l’opposition n’en tire aucunement profit et se voit elle-même d’autant plus anéantie.


 


Seif Soudani