Tunisie. Une campagne électorale qui ne dit pas son nom

 Tunisie. Une campagne électorale qui ne dit pas son nom

Via sa page officielle dans les réseaux sociaux, la présidence de la République s’en prend expressément à une opposition déjà très affaiblie. Une communication institutionnelle d’une violence jamais vue dans l’histoire du paysage politique du pays.  

 

« Kais Saïed n’est pas un populiste, c’est un manuel du populisme ! », ironise l’universitaire et politologue Mohamed Sahbi Khalfaoui, à propos de l’aspect caricatural de ce que vit récemment le pays. A une semaine du scrutin des législatives anticipées, le chef de l’Etat multiplie de façon frénétique les déplacements désormais quasi quotidiens, là où il se passait souvent plusieurs jours sans que la communication du Palais ne fasse état de la moindre activité.

Lors d’une énième visite nocturne, cette fois dans le quartier populaire de la Mnihla, à quelques encablures de sa propre résidence privée, la page officielle de Carthage a commenté la visite en ces termes :

« Le président de la République a souligné que ceux qui se réunissent aujourd’hui sous couvert de la soi-disant opposition, après avoir été de prétendus adversaires les uns des autres ces dernières années, manifestent ensemble sur les marches du théâtre aujourd’hui, ou plutôt sur sa scène, sachant que le metteur en scène est le même. Visiblement ils n’ont d’autre souci que le pouvoir : hier comme aujourd’hui, ils ne soucient guère des revendications du peuple. Ils n’ont fait que vider les caisses de l’État, en plus de leurs alliances bien connues avec l’étranger, tout comme ils ne se soucient pas de la patrie, ni de sa souveraineté ».

Des propos sans lien apparent avec l’objet de sa visite au chevet des familles vulnérables. Le « théâtre », c’est en effet une allusion au Théâtre municipal de Tunis, là où un rassemblement pacifique de quelques centaines de personnes, à l’appel de l’opposition, a lieu périodiquement depuis le coup de force de juillet 2021. Une opposition dont une partie est depuis 1 an et demi harcelée par la justice, mais aussi une opposition fragmentée, qui refuse de manifester ensemble entre islamistes et progressistes. Qu’à cela ne tienne, elle reste une obsession thématique du président Saïed, même si elle ne constitue pourtant aucune menace électorale, puisqu’elle boycotte dans son ensemble les élections du 17 décembre prochain.

 

Le président opposant

Plus loin, on peut lire depuis la même source que « le président a été témoin des conditions difficiles dans lesquelles vivent les habitants de ces zones, qui ne diffèrent pas de celles dans lesquelles vivent de nombreuses personnes dans le reste du pays. Il n’y a ni routes goudronnées, ni de canaux d’évacuation des eaux usées, et certains foyers manquent même d’eau potable et d’électricité, en plus des méfaits de la de pauvreté extrême ».

« Des propos dignes d’une association humanitaire ou d’un petit parti d’opposition », ironisent certains internautes, là où d’autres s’interrogent : « Mais qu’est-ce qui empêche l’homme qui détient depuis belle lurette maintenant tous les pouvoirs de subvenir aux besoins urgents de ces citoyens ? Cela n’est pas sans rappeler la citation devenue célèbre de l’ancien chef du gouvernement Hamadi Jebali, « mais que fait le gouvernement ? », sous une autre forme ».

Incrédule, l’éditorialiste Zied Krichen s’interroge quant à lui sur les raisons de l’extrême lenteur dans la mise en place de la Commission chargée de la réconciliation pénale pensée et voulue par le président Saïed, censée rapatrier des milliards de dinars mal acquis au profit du peuple dans un délai de 6 mois. « Cela fait 8 mois que les magistrats qui la composent attendent de prêter serment. Pourquoi n’ont-ils été invités à la faire au Palais que le 7 décembre dernier ? Il fallait semble-t-il faire coïncider cela avec ce mois, de sorte d’en faire l’une des grandes annonces périphériques aux élections législatives », raille-t-il.

 

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