Tunisie. Un vaste remaniement ministériel au timing électoraliste

 Tunisie. Un vaste remaniement ministériel au timing électoraliste

Kais Saïed et le général Mustapha Ferjani

Le président de la République Kaïs Saïed a procédé dimanche après-midi à un remaniement ministériel global impliquant la quasi-totalité de son équipe ministérielle, à l’exception notable de la Justice, de l’Intérieur et des Finances et de l’Industrie. Sont concernés pas moins de vingt-deux portefeuilles : dix-neuf ministres et trois secrétaires d’État. Décryptage d’un chamboulement radical motivé, une fois de plus, par l’inusable théorie du complot intérieur, au détriment de la stabilité de l’exécutif.

 

Lors d’une allocution prononcée au Palais de Carthage dans la foulée de ce chambardement dimanche soir, Saïed a affirmé le remaniement ministériel qu’il a opéré était devenu « indispensable », et « la situation du pays s’est transformée en un conflit ouvert entre le peuple tunisien, déterminé à réaliser la justice et à lutter contre la corruption, et des parties qui se sont jetées dans les bras de lobbies étrangers, rêvant d’un retour en arrière », a-t-il renchéri, une grave accusation envers des hommes et des hommes qu’il avait lui-même récemment choisis, à l’instar de la ministre de l’Education nationale Salwa Abassi, révoquée à la veille de la rentrée scolaire, un peu plus de deux mois à peine après sa nomination.

 

A la recherche d’une impossible stabilisation de la gouvernance

Devant un parterre de nouveaux ministres, il a souligné que ceux qui critiquent le remaniement ministériel à quelques semaines du scrutin présidentiel « ne font pas la différence entre les élections et le fonctionnement habituel des rouages de l’Etat : « Les services de l’Etat se trouvent chaque jour entravés par des blocages » a-t-il semblé regretter, martelant que « si l’intérêt supérieur du pays commande d’opérer un remaniement ministériel même à l’ouverture des bureaux de vote, cela aurait été fait sans la moindre hésitation », se défend-il en amont.

Car le chef de l’Etat le sait : en changeant de fond en comble la composition du gouvernement à 1 mois seulement de l’élection présidentielle, il s’expose naturellement à un procès de l’opinion publique en mépris du scrutin en question, un rendez-vous électoral qui en devient de facto insignifiant puisque comme gagné d’avance.

« Il est clair que le président Saïed craint particulièrement ce scrutin. Il constate manifestement que les Tunisiens sont de plus en plus sceptiques sur le rendement médiocre s’agissant de la gestion administrative du pays, ce qui a intimé ce geste à contre-temps censé marquer le coup et signifier qu’il reste aux commandes malgré le sabordage supposé venant d’autrui », explique l’analyste Slaheddine Jourchi.

Le président Saied a ainsi décrété que quelques jours après la nomination de certains responsables sans les nommer, « le système qui travaille dans les coulisses des chambres obscures est parvenu à contenir un grand nombre de ces hauts fonctionnaires, ce qui a transformé la situation en un conflit entre système constitutionnel et système corrompu dont les acteurs espèrent toujours un retour en arrière »… « Ces derniers n’ont pas compris que la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase historique et que l’État fonctionne désormais à la faveur d’une Constitution adoptée par le peuple via un référendum », a-t-il mis en garde.

« Des centres de pouvoir ont été créés au sein des appareils de l’État, ce qui nécessite une intervention immédiate pour y mettre fin. » En clair, le narratif conspirationniste imparable demeure le logiciel à la faveur duquel le pouvoir reste immuable, puisqu’il entretient le récit d’une lutte permanente contre la main invisible d’un « système » et d’un président éternel opposant œuvrant pour le Bien du peuple.

Il a enfin rappelé que la Constitution actuelle stipule que le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République qui est assisté par un gouvernement. « Le rôle d’un ministre est d’y aider » tout au plus, a-t-il rappelé. Pour Kais Saïed qui a dit ne pas souhaiter évoquer des statistiques, « les défis économiques et sociaux sont relevés, la croissance économique s’améliore lentement, et les réserves en devises sont en augmentation, grâce à des choix nationaux et non à des diktats étrangers », un auto satisfecit raillé par l’opposition.

 

Plusieurs militaires écartés du gouvernement

Autre enseignement majeur, sont en outre écartés de ce nouveau gouvernement trois officiers militaires ministres de tout premier plan : Ali Mrabet, en poste depuis août 2021 à l’époque récompensé pour sa gestion de la pandémie de Covid, et le charismatique officier de l’Armée de l’air, Abdelmonem Belati, ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, mais aussi le ministre de la Défense nationale, Imed Memmich, en poste depuis octobre 2021.

Paranoïa chronique ou doutes fondés ? Quoi qu’il en soit, 24 heures avant ce remaniement, le général Mustapha Ferjani fut en revanche promu au grade de général de corps d’armée, puis nommé hier ministre de la Santé. Cette redistribution des cartes au cœur de la composante militaire brusquement allégée au sein du gouvernement a ouvert la porte à de nombreuses spéculations. Certains vont même à parler de « gouvernement de Mustapha Ferjani », nouvel homme fort réel faisant la jonction entre l’Armée et l’exécutif.

Des supputations qui sont néanmoins à contre-courant des rumeurs ébruitées notamment par le site African Intelligence qui avançait le 21 août que Mustapha Ferjani, alors directeur général de la Santé militaire et conseiller auprès du chef de l’État avec rang de ministre, « a pris ses distances depuis quelques mois », ce que le média mettait sur le compte de ce qu’il qualifiait de « Premières failles dans le clan des généraux ». Une thèse qui reste cependant valide si l’on considère que le général Ferjani a été réhabilité en marge de ce remaniement aux allures de réforme.

Liste des nouveaux ministres du gouvernement Kamel Maddouri