Un paysage politique en pleine reconfiguration
L’Union patriotique libre a annoncé dimanche sa fusion surprise avec Nidaa Tounes. Si le rapprochement des deux partis de centre-droit n’est pas étonnant sur le plan des idées, il constitue en revanche un mini séisme au niveau des équilibres et des calculs politiciens en faisant basculer la balance du pouvoir législatif en faveur des partisans du Palais présidentiel. Explications.
Préparée en coulisses dans le plus grand secret depuis plus de trois semaines, selon l’ancien chef de cabinet de Béji Caïd Essebsi, Ridha Belhaj, la fusion n’attend plus qu’une étape pour être finalisée : mandater le président de l’UPL pour « prendre les dispositions nécessaires afin de la parachever ». En clair, il s’agira de se répartir les rôles et les fonctions au sein de la nouvelle entité qui conservera le nom de Nidaa.
« Nidaa Tounes ne peut avoir pour alternative que Nidaa Tounes ! », s’est félicité à Monastir Hafedh Caïd Essebsi, qui avait à cœur de marquer le coup dans cette ville dont les députés frondeurs avaient récemment lancé la dissidence contre le numéro 1 non élu du parti, au nom du bourguibisme.
Le bureau politique élargi de Nidaa Tounes s’était réuni dans la ville du Sahel la veille du 15 octobre, en présence des membres du groupe parlementaire dont certains furent refoulés, et de coordinateurs régionaux, en prévision du sans cesse repoussé premier congrès national du parti, prévu le mois de janvier prochain.
Situation ubuesque pour les observateurs étrangers : le parti a réitéré son opposition au gouvernement actuel qu’il avait lui-même formé, tout en réclamant un « remaniement intégral », qui inclurait le poste du chef du gouvernement.
« Mettre un terme au coup d’Etat » des pro Chahed
Plus tôt dans la journée, la porte-parole de l’UPL, Samira Chaouachi, avait déclaré à la clôture des travaux de la session extraordinaire du conseil national de son parti à Sousse que le bloc parlementaire de l’UPL se retirait dorénavant du bloc de la Coalition nationale officieusement acquis au chef du gouvernement Youssef Chahed. Un bloc qui s’était propulsé en l’espace de quelques semaines à la 2ème place au Parlement en termes de nombre de députés (51), derrière Ennahdha (68), mais qui perd virtuellement cette place grâce à la manœuvre de ladite fusion.
« Nous ne soutiendrons pas un projet comploteur qui tente d’opérer un putsch soft en s’emparant du pouvoir via l’Assemblée », a martelé de son côté le chef de l’UPL Slim Riahi, homme d’affaires multi milliardaire que certains nomment le « Berlusconi tunisien », dont le parti compte 16 sièges à l’ARP et qui était frappé jusque récemment d’une interdiction de quitter le territoire tunisien.
Officiellement, le rapprochement est pour Nidaa Tounes « motivée par le désir de mettre en place un projet politique démocratique qui répond aux objectifs nationaux et garantit l’équilibre politique ». Derrière la langue de bois, il s’agit de la première étape d’un bras de fer anti Chahed, et par-delà le jeune chef du gouvernement, la première phase du regroupement des transfuges d’hier, puisque d’autres partis ont été sollicités, à l’instar du Machroû de Mohsen Marzouk. Reste à savoir comment, demain, contenter tout ce beau monde, les postes ministériels et gouvernementaux n’étant pas infinis.
« Bras armé secret » d’Ennahdha : l’étau se resserre sur le plan politico-judiciaire
Décidément chargée, la semaine politique s’ouvrait sur une évolution inédite en lien avec le dossier de nouveau brûlant des assassinats des deux ex opposants de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi : des dirigeants du Courant populaire, d’Al Joumhouri et du Parti des Patriotes Démocrates Unifié (PPDU) se sont réunis au siège du parti Al Joumhouri à Tunis.
A l’ordre du jour, un exposé en vertu duquel Me Ridha Raddaoui, membre du collectif de défense dans l’affaire Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, s’est chargé de présenter les dernières données relatives au dossier de la présumée structure paramilitaire islamiste, dépendant d’Ennahdha, et dont il est convaincu qu’elle a exécuté les assassinats de 2013.
Un appel a été lancé par les trois partis aux organisations de la société civile et aux instances chargées des droits de l’homme à coordonner les efforts et « prendre les initiatives nécessaires pour soutenir l’action du collectif de défense ainsi qu’à redoubler de vigilance pour protéger le processus démocratique dans le pays ».
Dans une déclaration commune, les participants tiennent le pouvoir politique et les partis responsables de la « dégradation sans précédent » du climat politique et économique du pays, et appellent à « la conjonction des efforts de toutes les forces démocratiques et progressistes pour mettre fin à la crise et ouvrir de nouvelles perspectives devant les Tunisiens ».
A l’aube de l’année électorale 2019 sans doute mouvementée qui se profile, l’heure est aux positionnements.
Seif Soudani
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