Un nouveau « Front du salut », pourquoi faire ?

 Un nouveau « Front du salut », pourquoi faire ?

Palais des congrès de Tunis


Transfuge de Nidaa Tounes, l’ambitieux Mohsen Marzouk a officiellement annoncé le 2 avril à Tunis la création du « Front du Salut et du Progrès », énième tentative de regrouper plusieurs partis politiques et personnalités nationales qui n’ont a priori aucun socle idéologique commun en particulier. Or, la récurrente thématique du « sauvetage » commence à lasser les Tunisiens. Explications.  


La main sur le cœur pendant l’hymne national, ce geste « patriotard » disent ses détracteurs, devenu sa marque de fabrique, Mohsen Marzouk était le premier à prendre la parole pour livrer son speech, comme pour mieux signifier que c’est bien lui qui est aux commandes de cette nouvelle initiative. Si le milliardaire également transfuge de la coalition au pouvoir Slim Riahi accepte pour l’heure de jouer les seconds rôles, un inévitable conflit d’égos se dessine à l’horizon fin 2019, date de la prochaine présidentielle.


Troisième homme fort de ce nouvel ovni politique, Ridha Belhadj, l’ancien chef de cabinet du président Essebsi et membre fondateur de Nidaa Tounes, tombé en disgrâce dès 2015. En ralliant à ce Front, l’homme compte redorer son blason en récupérant les rênes de son ex parti par tous les moyens possibles. Revendiquant toujours l’étiquette Nidaa Tounes, il est en procès contre Hafedh Caïd Essebsi : verdict la fin de ce mois d’avril pour savoir à qui revient la paternité légale du parti.  


« C’est une date historique pour la Tunisie !», s’exclame Marzouk. Le quinquagénaire, affirmant que le Front du Salut et du Progrès focalisera ses actions sur cinq axes prioritaires : « la loyauté à la patrie, le lancement des grandes réformes, la garantie des libertés publiques et individuelles et la lutte contre le terrorisme, le parachèvement des institutions constitutionnelles et le respect de la loi ainsi que la garantie de la dignité de tous les Tunisiens ».


Mais à écouter plus attentivement le contenu des speechs des trois leaders, le nouveau Front s’articule en réalité essentiellement autour de deux axes réels : « l’anti affairisme », et l’« anti islamisme »… Deux thématiques pour le moins respectivement discutable et obsolète.   


 


Manœuvre politicienne



Servant de « caution de gauche » selon certains observateurs, Mohamed Kilani, secrétaire général du parti socialiste a souligné que les différents partis politiques et les personnalités nationales qui ont décidé de créer le Front du Salut et du Progrès « veulent servir le pays et se sont réunis dans l’intérêt de la patrie ».



« Malgré toutes nos différences et malgré tous les obstacles que nous avons rencontrés depuis les premiers jours où nous avons réfléchi à créer ce Front, nous nous sommes réunis pour sortir le pays de la crise politique et économique », a-t-il indiqué, signalant que toutes les composantes du Front ont présenté, chacune de son côté, des concessions pour avancer et créer cette nouvelle formation politique.



De son côté, Slim Riahi, secrétaire général du l’Union patriotique Libre (UPL) est allé droit au but en disant que les Tunisiens sont aujourd’hui face à deux projets différents le premier est celui du Front du Salut et du Progrès et c’est un projet progressiste, moderne et centriste, tandis que le deuxième celui d’Ennahdha et ses partenaires, est « un projet rétrograde qui tire le pays vers le bas »…



De l’eau a coulé sous les ponts depuis que Riahi lui-même brandissait un Coran dans les tribunes d’un stade de football en 2011, en se disant « favorable à la charia islamique », puis lorsqu’il s’est lui-même allié à Ennahdha jusque récemment dans le cadre de la majorité au pouvoir.



« Il est temps que tous les partis démocratiques et centristes se regroupent pour faire face à l’hégémonie d’Ennahdha », a déclaré pour sa part Ridha Belhadj, représentant le comité de gestion de Nidaa Tounes, estimant que la Tunisie est « aujourd’hui en danger ».

 


Assemblage hétéroclite, le Front du Salut et du Progrès est formé du parti Machroû Tounes, le Parti socialiste, Nidaa Tounes faction dissidente, le mouvement Tunis l’Avenir, l’Union Patriotique Libre, le parti du travail national démocratique, le mouvement de la jeunesse nationale tunisienne, le parti de l’Union populaire, le Mouvement central démocratique, le parti Ethawabet et des personnalités politiques indépendantes comme Mahmoud Baroudi, Abdelaziz Kotti (ex CPR, ex Nidaa) et Abdelaziz Mzoughi (ex Nidaa).


Surfant comme de nombreux autres partis sur la mode du discours « anti corruption », ce Front n’est pourtant pas exempt lui-même de soupçons d’affairisme, fondé notamment par le magnat Slim Riahi dont une grande partie des avoirs fait encore l’objet d’un gel par la justice tunisienne.


En recourant à la terminologie du « sauvetage », cette entité tente de raviver la dynamique « Front du salut » créé en 2013 au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd. Mais quatre ans plus tard, ce discours alarmiste et éradicateur de l’islam politique n’est plus aussi audible, d’autant qu’Ennahdha a depuis de son propre chef renoncé à cette appellation. Sceptiques, les tunisiens sont las de la rhétorique bipolaire clivante, opposant en vain une forme de laïcité autoritaire à un vague référentiel islamique.  


 


Seif Soudani