Tunisie. Un incompréhensible silence présidentiel
Cela fait maintenant plus d’une semaine que l’institution de la présidence de la République se terre dans un mutisme inexpliqué, et ce alors que la Tunisie est au cœur de la tourmente, le pays faisant même l’objet de réunions de crise entre pays occidentaux.
La dernière activité présidentielle remonte en effet au 22 mars 2023, une activité à caractère strictement cérémonial du reste, puisque le président Kais Saïed félicitait alors les Tunisiens depuis la mosquée de la Zitouna de l’avènement du moins saint du ramadan, ce qui n’a pas manqué de lui attirer les critiques de ceux qui y voient à juste titre un mélange des genres entre homme politique et homme de religion.
La même soirée, pendant que l’actualité anxiogène du pays tournait autour d’un inexistant plan B à l’obtention du prêt du sauvetage par le FMI, le chef de l’Etat s’adonnait à l’une de ses activités favorites : prendre un café, protégé par sa sécurité, au milieu d’une foule de badauds, puis étaler sa culture historique sportive sans raison apparente.
Fidèle à sa fièvre des limogeages à tour de bras, la présidence de la République a certes mis fin le 7 mars aux fonctions d’Ihsen Sbabti, attaché chargé de la communication électronique, mais en 2023 aucune institution moderne au monde payée par le contribuable ne se permet de telles phases de silence radio, encore moins en temps de crise où l’on s’attend au contraire à une communication abondante.
Un épisode en particulier préoccupe davantage qu’il ne rassure sur la léthargie présidentielle : lundi 27 mars, l’hibernation du Palais de Carthage est interrompue par une visite non documentée : c’est pourtant celle d’un haut dignitaire européen, venu investi d’une mission urgente.
Ainsi le Commissaire européen à l’économie Paolo Gentiloni aurait reçu une fin de non-recevoir dans un premier temps, selon l’agence de presse italienne Nova, qui a annoncé que Gentiloni a rencontré des membres du gouvernement tunisien tout comme le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, mais n’a pas pu rencontrer le président Saïed. L’intéressé dira plus tard avoir bien rencontré Kais Saïed, mais sans que la page officielle de la présidence ne relaye la rencontre.
Un cafouillage et une indication selon certains analystes que Carthage a définitivement changé de politique étrangère, privilégiant désormais de nouveaux partenariats dont l’Italie de Melloni et l’Algérie de Tebboune, mais aussi de la Russie de Poutine.
Une rhétorique de l’autosuffisance
Le récent communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères daté du 27 mars confirme un certain virage à cet égard : désormais, en sus du soutien économique et financier de ses partenaires « notre pays compte sur la mobilisation de ses propres ressources » s’enorgueillit le texte.
Pour comprendre ce changement de politique, il faut remonter au 5 mai 2022. De jour-là, depuis le ministère de l’Intérieur, le président de la République se félicitait du fait que la moisson était bonne et que la Tunisie allait « réaliser son autosuffisance ».
Mais moins d’une année plus tard, force est de constater que la moisson n’a été que de 2 millions de quintaux pour des besoins annuels de 32 millions de quintaux. En cause, la sècheresse, mais pas uniquement. Parler d’autosuffisance implique un plan de travail prenant en considération les aléas climatiques. D’autant que la Tunisie figure depuis 1995 dans la liste rouge en termes de stress hydrique, et que les changements climatiques actuels ont accéléré l’effet de la dégradation des précipitations saisonnières.
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Résultat, l’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, Joey R. Hood, a annoncé ce matin jeudi que son pays enverrait dans les prochaines semaines des cargaisons de céréales pour venir en aide à la Tunisie.
D’après un communiqué du ministère italien des Affaires étrangères, le vice-Premier ministre italien et ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Antonio Tajani, a eu le 28 mars un entretien téléphonique avec le Secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, pour évoquer « les derniers développements de la crise en Tunisie, tant sur le plan politique qu’économique ».
En somme, deux puissances discutant du sort du pays en aparté, sans que l’intéressé ne soit inclus à la conversation. Signe qu’avant de se doter d’un discours souverainiste, mieux vaut avoir les moyens de sa politique.