Tunisie. Exclu de son parti, Youssef Chahed au pied du mur

 Tunisie. Exclu de son parti, Youssef Chahed au pied du mur

En apparaissant samedi


La décision de l’Instance politique de Nidaa Tounes de geler l’adhésion du chef du gouvernement, Youssef Chahed, et de transmettre son dossier à la Commission du règlement intérieur, conformément aux dispositions des articles 59, 67 et 69 du règlement du parti, plonge le pays un peu plus dans la crise politique, en paralysant un exécutif déjà bien affaibli.


Un chef de gouvernement devant une instance disciplinaire de son propre parti, devenant potentiellement orphelin politique, « only in Tunisia ! » s'étonnent certains, fait rarissime, voire quasiment du jamais vu en démocratie comme sous dictature. Comment en arrive-t-on là ?


Prise en fin de journée du vendredi 14 septembre après des menaces tout au long de la semaine suivies d’un ultimatum, la décision de suspension constitue un précédent institutionnel suffisamment grave pour être évoqué jusque dans les colonnes New York Times, où est étalé le différend qui oppose Chahed au fils du président de la République Hafedh Caïd Essebsi, dirigeant de facto du parti.


Publiquement, c’est l’incapacité du gouvernement Chahed à relancer l’économie qui est évoquée pour requérir son départ, mais dans les arcanes du pouvoir, il est un secret de polichinelle que ce sont les ambitions présidentielles du quadragénaire pour 2019 qui sont derrière son excommunication, du moins son ostracisme au sein de Nidaa. L'homme est en outre soupçonné d'envisager la création d'une nouvelle formation politique.


 


Une escalade sans fin


Inextricable, surréaliste et complexe, la situation politique du pays a tout d’un House of cards à la tunisienne !


Point culminant de ce bras de fer, intervenant à sa demande en prime time à la TV nationale Youssef Chahed avait déclaré en mai dernier que le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi, qui est aussi le directeur exécutif de Nidaa Tounes, avait « détruit le parti au pouvoir, et que la crise au sein du parti avait affecté les institutions de l’Etat ». Une réaction alors à la demande devenue explicite à l’époque, adressée par Hafedh Caïd Essebsi au chef du gouvernement, de démissionner sous peine d’être écarté par la nouvelle version du document dit du Pacte de Carthage.


Plusieurs ministres ont depuis quitté le gouvernement Chahed, limogés par ce dernier, ou comme dans le cas de Mehdi Ben Gharbia officiellement las de l’instabilité gouvernementale qui rend leur travail quasi impossible. Autre aspect de la paralysie qui s’installe dans la durée : le blocage de dizaines de projets de loi à l’Assemblée, qui sabote l’action gouvernementale.   


Mais deux acteurs clés sont depuis entrés en jeu et se neutralisent par leurs positions antagonistes au sujet du départ de Chahed : la puissante centrale syndicale UGTT, qui a rejeté les réformes économiques jugées ultra libérales proposées par Chahed, et qui demande aussi son départ, et Ennahdha qui rejette pour sa part les appels à la démission du chef du gouvernement, faisant valoir que son éviction risquait de déstabiliser le pays au moment où il a besoin de réformes structurelles.


Aujourd’hui lundi, une médiation est prévue entre Youssef Chahed et Noureddinbe Tabboubi le numéro 1 de l’UGTT. Une rencontre qui a cela dit peu de chance d’aboutir, tant Tabboubi est connu pour camper sur sa position.


 


Chahed imperturbable ?


« Malgré le manque de soutien politique au gouvernement, nous procéderons aux réformes économiques l’année prochaine, y compris la réforme des subventions et des fonds sociaux », a déclaré Youssef Chahed. Deux réformes ardemment réclamées par le Fonds monétaire international, dont l’impatience grandit, lui qui maintient le pays à flot au gré du décaissement des tranches de crédit.


En optant pour le terme « gel » au lieu d’une exclusion pur et simple, le parti de Hafedh Caïd Essebsi semble certes laisser la porte ouverte à Chahed pour « une sortie honorable », lui qui était donné pour partant à la mi-octobre par de nombreux observateurs. Un scénario de moins en moins probable à en juger les déclarations jusqu’au-boutistes du chef d’un gouvernement qui résiste, chavire mais ne coule pas… pour combien de temps encore ?


 


Seif Soudani