Tunisie – Belgique, un naufrage prévisible ?

 Tunisie – Belgique, un naufrage prévisible ?

Efficace


Les dévoués supporters tunisiens ne méritaient pas une défaite de cette ampleur. L’humiliante défaite 5 – 2 concédée face à la Belgique ouvre sans doute la voie à une remise en question structurelle et générationnelle. Les départs du sélectionneur national ainsi que du président de la Fédération tunisienne de football son désormais unanimement requis.  



 


Bien que concédée par la plus petite des marges, à 2-1 contre l’Angleterre, la première désillusion des Aigles de Carthage en match inaugural avait déjà donné à voir des signes criants d’impréparation physique et mentale chez des Tunisiens méconnaissables. Les matchs amicaux sont une chose, la compétition à très haut niveau en sont une autre, se dit-on alors.


L’état de grâce qu’a connu la sélection tunisienne durant ses matchs préparatoires de coupe du monde, qui lui ont valu le titre d’« Italie du Maghreb » dans la presse étrangère, ainsi que sa place de 14ème mondiale au classement FIFA, ont-ils pu induire en erreur un staff et des joueurs qui ont présumé de leurs forces ? C’est en tout cas ce que reprochent aujourd’hui bon nombre d’analystes sportifs au sélectionneur Nabil Maâloul, qui s’est rendu coupable d’un certain effet d’annonce, en martelant à qui veut bien l’entendre, avant le début des hostilités, que l’objectif était de « viser les quarts de finale, voire plus »…  


 


Un groupe G extrêmement relevé


Sur le papier d’abord, reconnaissons que les forces en présence étaient pour le moins inégales. « Un joueur anglais et un joueur belge sélectionnés ont dans les pieds une moyenne de 70 matchs par saison, entre match de championnat européen, coupe de l’Euro, et Champions League. Là où un joueur tunisien n’en a qu’une vingtaine, le tout dans un championnat de niveau médiocre, hormis nos rares internationaux qui ne sont même pas titulaires dans leurs équipes », fait remarquer le commentateur sportif Firas Euchi.


Sur le terrain, ce fossé compétitif n’a pas tardé à se faire sentir, avec à chaque fois des entames de match désastreuses où des Tunisiens ont semblé hors du coup, et où le fait d’être visiblement intimidés par l’enjeu n’explique pas tout. Quelques minutes de jeu à forte cadence par 30 degrés Celsius face à des belges survoltés ont en effet suffi à décimer les rangs des Aigles, avec les sorties sur blessure coup sur coup de Dylan Bronn et de Syam Ben Youssef, évacué sur civière, et autres crampes musculaires de Seif Eddine Khaoui.  


La réaction d’orgueil de Bronn, natif de Cannes, mettant les siens à 2 – 1 sur une tête héroïque avant sa sortie, n’aura duré qu’un court laps de temps avant que les Tunisiens ne sombrent définitivement.


Encore plus marquée, la débâcle des outsiders du Panama hier dimanche face à l’Angleterre par 6 – 1 vient finalement relativiser, par effet rétrospectif, le naufrage de la Tunisie qui apparait bien moindre au regard de cet ordre naturel ainsi rétabli dans un groupe déséquilibré.


Si les Anglais n’ont plus pu briller en coupe du monde depuis 1966 et leur titre remporté à domicile, les Belges (actuels 3èmes mondiaux au classement FIFA) ont quant à eux connu une remarquable montée en puissance depuis la génération des années 80 (4èmes en 1986, finalistes en 1980), et sont crédités cette année du statut de favoris pour remporter le titre, notamment par la BBC elle-même.  


 


Une mise en scène ostentatoire de la religion


« Pour moi nous avons été ridicules vu la physionomie et le score. Prendre un 5 à 2, c'est ridicule. On n'a pas été ridicule quand on voit la possession (52/48 pour la Belgique), mais athlétiquement on n'a pas suivi », a déclaré Nabil Maâloul samedi, à l’issue du match.


Evoluant dans le sillage de Roger Lemerre dans les années 2000, Maâloul a repris les rênes de l’équipe nationale tunisienne une première fois en février 2013, puis depuis avril 2017 où il a imposé un style singulier, particulièrement porté sur les incantations superstitieuses et une religiosité qualifiée de « populiste » par ses détracteurs.


Souhaitant manifestement orienter la communication de son staff en ce sens, l’homme entonne, face caméra, « la prière du voyage » ici au décollage de l’avion des joueurs Tunisiens vers la Russie, puis tient à diriger la récitation de la version longue de la Fatiha avant chaque match comme ici face au match amical contre l’Espagne, refuse ici une interview d’un plateau de la TV nationale pour cause de prière nocturne, ou encore rompt le jeûne du ramadan en compagnie de ses joueurs, en plein match, à la 47ème minute de la rencontre préparatoire face la Turquie, où les Tunisiens concèderont le nul…    


Que l’on apprécie ou pas ce regain de piété omniprésente dans les vestiaires et sur les stades, le fait est que les polémiques qu’il a engendrées furent une source de distraction pour l’équipe nationale, culminant le 20 juin dernier au moment où Maâloul préféra des menaces à l’encontre du chroniqueur Mohamed Boughalleb après que ce dernier ait moqué ce style : « Je vais rentrer en Tunisie et je retrouverai l’auteur de ces déclarations », a prévenu le sélectionneur national sur la TV nationale.  


Le hasard du calendrier a par ailleurs voulu que soient combinés Panem et circenses, selon l’expression latine : le jour de la défaite face à la Belgique était aussi celui d’une majoration historique des prix du carburant, de 75 millimes / litre. S’il est au final salutaire sur le plan logistique, avec des changements attendus à la tête de la fédération, le dur retour à la réalité des Tunisiens pourrait avoir des conséquences sociétales, voire politiques, non négligeables.


 


Seif Soudani


 


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