Tunisia 2020 : une décevante orthodoxie formelle
Mardi 29 novembre, la Conférence de l’investissement entre dans le vif du sujet : les convives « high profile » ont défilé à la tribune pour annoncer les montants que leurs pays ou entreprises allaient mobiliser. L’occasion de dresser un premier bilan de ce qui s’apparentait davantage à une simple et très protocolaire levée de fonds.
La journée commençait par un mini incident : mécontents de n’être placés qu’au deuxième rang, Mohsen Marzouk et le milliardaire Slim Riahi ont quitté la salle du Palais des congrès. Au premier rang, l’une des images du jour est la présence de trois chefs de gouvernements consécutifs de 2011 à 2014, Jebali, Larayedh et Jomâa, comme pour signifier leur solidarité dans la responsabilité partielle de la crise. Présent également en speaker, Houcine Abbassi le chef de l’IGTT était là officiellement pour faire valoir l’image d’une relative paix sociale retrouvée.
Le dépliant du programme de la journée ne renseignait pas vraiment sur la forme que prendrait le déroulement de la journée, mais l’audience est vite fixée : sur une tribune où sont installés le chef de l’Etat, le chef du gouvernement, et les représentants de pays privilégiés que sont la France, le Qatar, et l’Algérie, chaque VIP monte à la tribune le temps d’une courte allocution. Le pays ou l’organisme concerné y révèle le montant à hauteur duquel il participera à ce qui ressemble davantage à une Conférence Bretton Woods.
Fatalement, cette configuration formellement très orthodoxe ne pouvait aboutir qu’à une monotone messe sur le mode du « qui dit mieux ? ». Sur la très peu critique télévision nationale où des journalistes béats plébiscitent l’évènement quasiment sans aucun recul critique, la correspondante de la chaîne demande naïvement à l’un des organisateurs « combien on a collecté jusqu’ici ? », comme s’il s’agissait du Téléthon d’un pays sinistré. Elle est depuis la risée du web où sévit le hashtag « kaddech lammadna » (« on a récolté combien ? »).
Au chapitre des plus généreux participants, le Qatar avec 1,25 milliard de dollars, suivi de l’Arabie Saoudite avec 800 millions, et de la Turquie avec 600 millions, répartis en 200 millions en don, 200 millions investis, et 200 en « crédit flexible ». La veille, Rached Ghannouchi s’était réuni avec les membres de la délégation turque. « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de traduction pour l’intervention du vice-premier ministre turquie, s’étonne à ce propos Yamina Zoghlami, édputée Ennahdha.
Dans le même ordre d’idées, certains interprètent l’absence remarquée des Emirats Arabes Unis par le mécontentement face à une perte d’influence régionale au profit d’autres rivaux géopolitiques voisins du Golfe. La France a quant à elle annoncé une reconversion d’une partie de la dette tunisienne en investissements.
D’autres pointent à juste titre l’aspect effet d’annonce, « sans grande valeur avant que lesdits accords ne soient passés au crible par l’Assemblée des représentants du peuple », les acteurs en question n’étant certainement pas venus en philanthropes.
D’autres enfin soulignent le détournement largement politique d’un évènement dont il est difficile de mesurer financièrement le succès ou l’échec, au profit du président de la République et de ses alliés.
Les protestations de rue durement réprimées
A la mi-journée, de graves incidents ont éclaté au centre-ville en marge de l’event. Parti de l’Avenue Habib Bourguiba, un collectif de groupes de gauche issus de l’UGET, du mouvement « Manich Msemah » et de jeunes qui les ont rejoints spontanément sont arrivés à hauteur de l’Avenue Mohamed V où des échauffourées ont immédiatement éclaté aux abords du Palais des Congrès.
Une répression qualifiée de stupide et disproportionnée au regard des traditionnelles marches contre ce type d’évènements depuis Seattle au début des années 2000 et les mouvements « Occupy » généralement pacifistes. Mais visiblement les autorités ne voulaient prendre aucun risque, quitte à donner à voir le spectacle d’une répression d’une autre époque, avec de multiples arrestations de jeunes qui ont osé s’approcher du lieu quadrillé par les forces de l’ordre.
Parmi les slogans levés par les manifestants, « gouvernement de négociants » ou encore « Sommet colonial ». Commis par le Premier ministre français, le lapsus qui a écorché le nom du président tunisien nourrit les railleries des internautes et contribue finalement à dédramatiser la journée.
Seif Soudani