Tunisie. Triomphe du présidentialisme dans un climat d’incertitude

 Tunisie. Triomphe du présidentialisme dans un climat d’incertitude

Tard dans la nuit de mardi à mercredi 27 juillet 2022, l’Instance dite « indépendante » pour les élections (ISIE) a officiellement annoncé les résultats préliminaires du référendum présidentiel relatif au projet de Constitution pour une « nouvelle République ». En hausse, le score du « Oui » s’établit désormais à 94,6%.

« Indécent » au regard d’une grande partie de la société civile pour qui la Tunisie renoue avec des chiffres unanimistes qui lui sont familiers : ceux des scrutins d’avant la révolution de 2011, quoique l’ancien dictateur Ben Ali s’était contenté d’un 89,6% en 2009.

Si les principales forces d’opposition tentent de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en rappelant que le faible taux de participation (30,5%) à ce qu’elles qualifient de « vaste mascarade » est bien en deçà de la légitimité nécessaire requise pour un chantier constituant, les composantes de ce Front national du salut sont conscientes que le plus dur reste à faire pour juguler la vague populiste qui traverse le pays. Si bien qu’elles parlent davantage d’effort de « résistance » plutôt que d’opposition classique.

Ses leaders promettent à l’instar de l’opposant historique Nejib Chebbi la nomination symbolique d’un gouvernement d’union, sorte d’entité parallèle qui ne serait pas sans rappeler des scénarios récents en Amérique latine, ou encore plus proche de nous, des deux gouvernements libyens.

 

En arrière toute !

Le taux d’adhésion à son projet, le président Kais Saïed n’en a cure : comme chaque fois qu’il est en difficulté ou veut marquer le coup, il s’adonnait hier à un énième bain de foule nocturne Avenue Habib Bourguiba, entouré d’un imposant dispositif sécuritaire. C’est là qu’après quasiment deux années de boycott de la presse nationale, il a répondu aux questions des quelques journalistes ayant réussi à l’approcher.

« Il n’y aura pas de retour à la dictature puisque c’est le peuple qui décide de tout dorénavant », martèle-t-il, sorte de syllogisme facile qui peine à convaincre tout esprit doué d’un minimum de bon sens. Quelques heures plus tôt, les premiers portraits géants à l’effigie du président refaisaient leur apparition dans les rues de Kairouan, dans le centre du pays.

« Le nouveau texte de Constitution qui nous est proposé fait un saut dans l’Histoire, de l’époque beylicale du 19ème siècle, au 17 décembre 2010, un grand écart qui omet toute mention des présidences post indépendance. En somme l’Histoire commence avec Saïed », déplore avec effroi le juriste Sadok Belaïd, un temps chargé à titre consultatif de l’écriture de ce même texte, avant que le Palais n’écarte intégralement sa contribution.

Le référendum constitutionnel tunisien de 2002, organisé à l’initiative de Zine el-Abidine Ben Ali qui l’a annoncé le 7 novembre 2001, s’était tenu le 26 mai 2002. Il s’agit du premier référendum de l’histoire du pays

Et maintenant ?

Malgré leurs similitudes, affirmer que les régimes de Ben Ali et de Kais Saïed sont analogues relèverait de la paresse ou de l’approximation intellectuelle, tant le projet saïdiste demeure encore à ce jour bien vague. On sait cependant avec certitude que là où le benalisme adossait surtout son despotisme au parti unique et à l’appareil policier, Saïed compte s’appuyer sur un réseau de sympathisants jusque dans les localités les plus reculées du pays.

Mus par une idéologie qui avance relativement masquée, ces nouveaux apôtres du « Message » de Kais Saïed sont convaincus que la Tunisie s’apprête à nationaliser massivement ses ressources naturelles, à redistribuer les richesses de façon équitable, à « en découdre avec la corruption des cartels », et à « s’affranchir des sionistes, de leurs lobbies et des agences de notation financières », excusez du peu !

Le temps où l’exception tunisienne était saluée par des standings ovations dans les Parlements occidentaux semble aujourd’hui bien lointain. « Nous renouons avec nos racines arabo-africaines », ironise une partie de la toile au vu du score totalitaire proche du 100%. Chez les chercheurs universitaires en sciences politiques en dehors de nos contrées, le consensus académique ne s’y est pas trompé : on y parle depuis le 25 juillet 2022 de la fin pure et simple de l’expérience démocratique tunisienne.