Tunisie – Syrie : une Histoire récente inextricable
48 heures après la prise de Damas, la Tunisie a fini par réagir aux évènements en cours en Syrie, via un simple et laconique communiqué de son ministère des Affaires étrangères, après que ce dernier ait qualifié l’action des rebelles d’« attaques terroristes » quatre jours auparavant.
« La République Tunisienne souligne, au regard de l’accélération des événements en République Arabe Syrienne, la nécessité d’assurer la sécurité du peuple syrien et de préserver l’Etat Syrien en tant qu’Etat unifié et pleinement souverain afin de le protéger du danger du chaos, de la fragmentation et de l’occupation et de rejeter toute ingérence étrangère dans ses affaires », peut-on notamment y lire.
« La Tunisie rappelle également sa ferme position sur la nécessité de distinguer entre l’Etat, d’une part, et le système politique qui existe en son sein, d’autre part. Le système politique est une affaire purement syrienne qui doit être choisi par le peuple syrien souverain qui a, seul, le droit de déterminer son propre destin sans aucune forme d’ingérence étrangère », poursuit le texte à la tonalité aussi minimaliste que souverainiste.
Un imbroglio casse-tête diplomatique
C’est qu’en avril 2023, la Tunisie annonçait la restauration des relations diplomatiques avec Damas, 11 ans après que le président Moncef Marzouki ait expulsé en 2012 l’ambassadeur de Syrie pour protester contre la répression sanglante menée par le pouvoir syrien contre ses opposants au début de la révolte syrienne. « Ceux qui prétendaient être amis de la Syrie n’ont fait qu’accroître la souffrance de son peuple », renchérissait le président Kais Saïed, un mois plus tard, au 32e Sommet Arabe à Djeddah, dans sa volonté de se démarquer de son prédécesseur, le premier président post révolution tunisienne du 14 janvier 2011, une date qu’il ne reconnaît pas du reste, lui préférant celle de l’étincelle du 17 décembre 2010.
Lors du Sommet de Djeddah, Saïed s’était prévalu du fait que la Tunisie avait été aux côtés des Emirats arabes unis dans leurs efforts de lobbying en vue de la réintégration de la Syrie au sein du concert des nations de la Ligue arabe. Lors d’un discours euphorique, il avait alors qualifié la révolte syrienne de « complot ourdi par l’étranger ». Dans une photo devenue célèbre, le président tunisien a aussi fièrement posé, tout sourire, aux côtés de Bachar al-Assad alors fraîchement réhabilité dans la Ligue, un homme dont il partage vaguement le même ADN politique, un logiciel panarabiste issu des années 1970.
Nouveau drapeau syrien hissé à Tunis
Or, lundi 9 décembre 2024, le drapeau de la révolution, aux trois étoiles rouges, a été hissé de manière officielle sur l’édifice de l’ambassade syrienne à Tunis, comme dans de nombreuses autres capitales à travers le monde, après y avoir été officieusement installé par des ressortissants syriens.
Dans une publication sur les réseaux sociaux de la page officielle de l’ambassade syrienne à Tunis, cette dernière invite les « frères syriens, membres de la communauté arabe syrienne en Tunisie, à contribuer à la nouvelle page qui s’écrit aujourd’hui dans l’histoire de la Syrie, inaugurant un pacte national et une charte qui rassemblent les Syriens, les unissent et ne les divisent pas, afin de construire une patrie unique où règnent la justice et l’égalité et dans laquelle chacun jouit de tous les droits et devoirs, quelle que soit son opinion ».
Mais voilà déjà que ressurgit le spectre d’une problématique non encore résolue : celle du retour en Tunisie des anciens combattants tunisiens partis combattre en Syrie ces dernières années. En 2019, on estimait qu’ils seraient ainsi entre 3000, selon les chiffres officiels, culminant à 6000, selon une estimation de l’ONU. « Les ressortissants tunisiens partis se battre aux côtés de d’organisations djihadistes en Syrie, en Irak et aussi en Libye constituent un contingent particulièrement important. C’est l’un des taux par habitant les plus élevés au monde », relève une enquête.
Certains sont depuis soit morts au combat, soit exécutés, soit encore emprisonnés dans les prisons syriennes avant que celles-ci ne soient vidées par les rebelles ces dernières 72 heures. On estime par ailleurs à 200 mineurs et 100 femmes le nombre de Tunisiens détenus dans les foyers de tensions avant la chute du régime syrien.
Commentant la passation du pouvoir et son partage volontaire par Abou Mohammed al-Joulani et l’ancien premier ministre syrien, le réfugié syrien en Tunisie, Omar Cheikh Ibrahim, ironise : « ces images m’ont rappelé le souvenir de la réconciliation entre Ennahdha et Nidaa Tounes… On sait tous comment cela s’est terminé… ». Dans un autre post non moins ironique, il commente le retournement de veste à répétition de « certains informateurs syriens de l’ambassade », ornant aujourd’hui l’ambassade du drapeau de la révolution.