Tunisie – Syrie : la grande réconciliation ?
En marge du 32ème Sommet de la Ligue arabe, le président de la République Kais Saïed s’est entretenu vendredi à son lieu de résidence à Djeddah avec son homologue syrien Bachar al-Assad. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la présidence tunisienne n’était pas peu fière des poignées de mains, tout sourire, et de l’entente cordiale affichée par les deux présidents. En témoigne le zèle de la page officielle du Palais de Carthage qui a publié de nombreuses photos de l’entrevue.
Kais Saïed a qualifié d’« historique » cette rencontre en grande pompe qui « reflète la solidité des relations de fraternité établies entre les deux pays ». « Ceux qui avaient prétendu être amis de la Syrie n’ont fait qu’accroitre la souffrance de son peuple durant de longues années », a ajouté le président tunisien, conformément à un agenda national où il s’agit de marquer des points contre ses prédécesseurs : sous-entendu Moncef Marzouki, les islamistes d’Ennahdha, et plus généralement les défenseurs des droits d’l’Homme.
Au lendemain de la révolution de 2011, sous le règne de la coalition appelée la troïka, la Tunisie avait alors rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar al-Assad dès février 2012. Or, le président Saïed s’inscrit plus que jamais aujourd’hui dans la déconstruction décomplexée et méthodique du legs des 10 dernières années.
Triomphe des idées panarabes ou nouvelle ère des régimes populistes ?
Le 12 avril dernier, sous impulsion tunisienne mais dans un communiqué conjoint, Tunis et Damas annonçaient que les relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie allaient être rétablies. Dans la foulée, des ambassadeurs sont nommés dans les deux capitales. Les médias du secteur public tunisien présentent la chose comme « un pas de plus vers la réintégration de la Syrie dans le giron arabe ». Saïed se voit donc comme l’un des artisans de ce retour en grâce de la Syrie à l’échelle arabe et internationale.
C’est aussi ce que reflète le discours triomphaliste du président tunisien en ouverture du Sommet. Il ne dit aucun mot des exactions du régime syrien, et en accord avec sa vision souvent complotiste de la géopolitique, pour lui la mise au ban de la Syrie n’avait rien à voir avec le génocide commis par le régime al-Assad, mais tout à voir avec « un plan de morcèlement de la Syrie », qu’il vient de contribuer à déjouer. « Une nouvelle configuration mondiale est en passe de se mettre en place », se félicite-t-il.
Sur le plan idéologique, même si la doctrine à laquelle appartient le président Saïed fait encore débat tant elle est un complexe mélange d’altermondialisme, de souverainisme et de conservatisme sociétal, le chef d’Etat tunisien est quoi qu’il en soit ici dans son élément, étant avant tout un panarabiste convaincu. « Il est nécessaire pour ce pays frère de se redresser et de préserver son unité et sa stabilité, et pour son peuple de décider seul de son sort loin des ingérences étrangères », a-t-il ainsi martelé. En Tunisie, l’unique parti politique avec lequel dialogue encore le président Saïed est du reste le parti « al-Chaab » (le Peuple), un parti panarabiste.
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Dans une déclaration aux médias tunisiens le président syrien a repris à son compte cette lecture conspirationniste des évènements et cette vision du monde : « Pendant un temps, la Tunisie a été utilisée comme base arrière d’une grande conspiration, non pas seulement contre la Syrie, mais contre la pensée et l’appartenance arabes. Une plateforme pour la diffusion de la pensée obscurantiste dans différents pays arabe », a renchéri Bachar al-Assad dans une déclaration en réalité peu flatteuse pour la Tunisie qui apparait aujourd’hui de facto dans la posture d’une réhabilitation qui confine à la demande de pardon.
Surfant sur les mêmes relents nationalistes que son homologue tunisien, al-Assad ajoute que le colonialisme français n’a pas pu changer le Maghreb qu’il souhaiter franciser, opérant un parallèle avec le peuple tunisien qui selon lui a subi à reculons la rupture des liens avec la Syrie.
Le site satirique égyptien al-Hudood préfère en rire dans un tweet : « Les pays arabes accueillent avec satisfécit le repentir tunisien : la Tunisie s’excuse d’avoir brièvement mené une expérience démocratique », titre cet équivalent du Gorafi arabe :