Tunisie : Spectaculaire arrestation du ministre de l’Environnement
Coup de tonnerre dans la scène politico-judiciaire. C’est une nuit des longs couteaux qu’a vécue la capitale Tunis avec l’arrestation par la justice du ministre de l’Environnement limogé dans la même journée de dimanche.
Également arrêtés, son directeur de cabinet ainsi que dix hauts responsables du ministère des Finances et des douanes, présumés impliqués dans une affaire d’importation illégale de déchets en provenance d’Italie, dont certains passent aujourd’hui lundi devant les juges en comparution immédiate à Sousse.
Dimanche 20 décembre en fin de matinée, le chef du gouvernement Hichem Mechichi a décidé de limoger le ministre des Affaires locales et de l’Environnement, Mustapha Aroui. C’est ce qu’a annoncé un laconique communiqué publié par la Kasbah, sans préciser pourquoi l’intéressé a été démis de ses fonctions.
Techniquement, le ministre n’était donc pas en fonction, au moment de son arrestation par la police judiciaire qui a encerclé son domicile. Mais nul n’est dupe : ce limogeage de dernière minute n’était censé sauver la face et préserver l’image de l’Etat d’une humiliante opération de police. Cependant, déjà mal en point, le gouvernement Mechichi n’en est pas moins politiquement affaibli.
Mandat d’arrêt contre un ministre : un précédent judiciaire
L’affaire crée de facto une jurisprudence inédite dans le pays depuis la révolution. Une enquête administrative, lancée récemment par le ministère des Finances, semble ainsi avoir confirmé l’implication du ministre mais aussi de divers services douaniers dans une vaste affaire de corruption portant sur l’importation de déchets italiens en Tunisie.
Auditionnant durant plusieurs heures en fin de journée par une brigade d’investigations de la Garde nationale à la caserne de l’Aouina, mais encore dans l’attente d’au moins deux confrontations, le parquet a décidé de maintenir en garde à vue le désormais ex-ministre Mustapha Aroui.
Le président de la Commission de la bonne gouvernance au sein du Parlement, en charge du dossier des déchets italiens, Badreddine Gamoudi, avait pour rappel reproché à Mechichi d’avoir attendu qu’il fasse l’objet d’un mandat d’arrêt, pour limoger son ministre, « alors que toutes les preuves l’accablaient ». Auditionné par ailleurs à l’Assemblée en novembre dernier, le ministre n’avait pas convaincu les députés. « La Tunisie n’est pas la décharge à ciel ouvert de l’Italie ! », avait notamment martelé l’opposition.
Particulièrement sensible au moment où Carthage et une partie de l’exécutif tente d’envoyer un message de rigueur éthique et écologique, doublée d’une guerre tous azimuts contre la corruption, ce scandale retentissant est l’un des plus marquants de l’histoire récente du pays.
Ingénieur principal avant de devenir ministre, Aroui, qui fut d’abord chargé des fonctions de directeur à la direction de l’écologie et des milieux naturels, relevant de la direction générale de l’environnement et de la qualité de la vie, au ministère des Affaires locales et de l’Environnement depuis juin 2017. Un ministère qu’il connaissait donc bien, pour y avoir gravi les échelons.
Arrêt définitif de l’importation des déchets ménagers
Au moment où la Tunisie vit au rythme des heurts sporadiques en marge des commémorations de la première décennie de sa révolution,
« Le limogeage du directeur de l’agence nationale de gestion des déchets n’est qu’un bouc émissaire pour camoufler cette affaire et faire taire l’opinion publique », s’était indigné Badreddine Gamoudi.
Révélée par une émission télévisée, l’affaire accable une société tunisienne qui importait de grandes quantités de déchets domestiques en Tunisie, à partir de l’Italie « à des fins non connues ». Exerçant dans le secteur de revalorisation des déchets plastiques post-industriels, l’entreprise recevrait la modique somme de 48 euros pour chaque tonne de déchets importés. 82 conteneurs de déchets en provenance d’Italie, transportant 120 tonnes de déchets, venaient d’arriver en Tunisie. Plus de 200 autres conteneurs sont encore en attente dans le port de Sousse.
En novembre dernier, la Douane tunisienne a annoncé l’interdiction définitive de l’entrée sur le sol tunisien des conteneurs de déchets, en réaction à cette affaire. En vertu des conventions internationales de Bâle et Bamako, ces déchets sont interdits d’export de l’Europe vers les pays africains. Mais l’entreprise incriminée aurait fourni de fausses déclarations aux douanes tunisiennes, qui compte en son sein, selon l’enquête, des complices présumés.
Des canaux diplomatiques sont désormais chargés de faciliter le réacheminement desdits déchets, par l’entreprise tunisienne tenue de le faire, vers l’Italie où sévit depuis des mois une grave crise de stockage des déchets domestiques.