« Sexe et amour au Maghreb », le reportage qui dérange
Le mini documentaire de M6 n’était pas encore diffusé que le débat autour de cet épisode d’« enquête exclusive » faisait rage ce weekend. Une audience record spécifiquement en Tunisie, qui a peut-être dépassé celle de l’audimat en France. L’engouement et la polémique sont-ils au final proportionnels au contenu ? Extrait.
Sur les réseaux sociaux, le teasing depuis vendredi de l’émission de Bernard de La Villardière, déjà connu pour ses sulfureux sujets notamment autour de l’Islam de France et des banlieues, totalise un demi-million de vues en 48 heures et attise les passions de youtubers influents auprès de la communauté maghrébine en France, à l’image du français d’origine tunisienne Bassem Braiki qui y consacrait dimanche soir une partie de son direct, furieux.
Au cœur de ce document d’environ 1 heure et 15 minutes, dont plus des deux tiers sont consacrés à la Tunisie, l’hyménoplastie, cette opération de reconstitution de l’hymen couramment pratiquée dans le pays par les jeunes femmes avant leur mariage, moyennant l’équivalent de 300 euros.
Des marronniers des médias occidentaux, traités plus en profondeur
Si ce phénomène de société a été traité par le passé dans divers ouvrages et enquêtes télévisées, le format retenu cette fois, particulièrement cru, à base de témoignages directs d’une patiente, d’un chirurgien volubile, en passant par une accompagnatrice, a l’effet d’une violente piqûre de rappel de l’ampleur du mensonge et de l’hypocrisie sociale qui règnent encore à tous les échelons s’agissant de cette pratique.
En parcourant les très clivées réactions en ligne, deux grandes tendances polarisées se dégagent : ceux qui considèrent que les femmes sont contraintes d’agir de la sorte étant sous le joug d’une norme sociale patriarcale, et d’autres qui font porter la responsabilité aux candidates au bloc opératoire, dans la mesure où elles participent par leur choix délibéré à la perpétuation de ce faux-semblant, sorte d’ultime tabou que l’on feint collectivement de ne pas voir, avec une dot à la clé réclamée aux familles des maris.
« Tant que les apparences sont sauves, l’honneur est sauf… Au fond ce qui est pratiqué ici n’est pas une religion, c’est un maghrébisme ! », résume ironiquement un internaute.
Après un bref détour par la sombre réalité de la vie des mères célibataires au Maroc, le cadre juridique vieillissant commun aux deux pays sert de transition pour revenir à Tunis, le temps d’y explorer en guise de troisième axe de l’enquête l’univers sous haute-surveillance de la communauté LGBTQ tunisienne.
Là encore la sensation de déjà-vu est prégnante, bien plus encore qu’en première partie, les mêmes visages et les mêmes angles (l’ONG et la radio gay « Shams ») étant chaque fois de la partie depuis maintenant plusieurs années, avec certes un regard ici plus intimiste qui capte le quotidien pas toujours festif du groupe.
Pour expliquer ce qui peu apparaître comme un parti pris de l’émission de faire l’impasse sur l’Algérie, la journaliste française Michaëlle Gagnet, auteure du document, explique que les autorisations de tournage y sont très difficiles à obtenir, quasi-impossibles.
« Les problématiques sont un peu les mêmes : relations hors mariages, concubinage, virginité, mères célibataires, pression de la famille mais la Tunisie est beaucoup plus ouverte que le Maroc », nuance a la journaliste.
Grande gagnante finalement, le personnage de la sexologue en BMW et cabinet de luxe, qui voit défiler de la clientèle. Le reportage se termine par un tête-à-tête avec l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, qui apporte un éclairage assez convenu, tout en expliquant qu’un changement des réalités décrites dans le sujet « ne peut venir que de l’intérieur » de ces sociétés, et ne saurait leur être imposé.
En attendant, un autre réflexe a la peau dure, consistant à s’en prendre au messager : de nombreuses réactions dénoncent ainsi « un complot médiatique » visant à « nuire à l’image des femmes et des pays du Maghreb », entre autres accusations sur fond de crispations identitaires conduisant à tout sauf à de l’introspection.
Seif Soudani
Le docu intégral est disponible ici