Reprise de la « guerre contre la corruption » sur fond de scepticisme

 Reprise de la « guerre contre la corruption » sur fond de scepticisme

Chaki Tabib et Youssef Chahed. Entre les deux hommes


Annoncée récemment par le porte-parole du gouvernement Chahed, la troisième vague d’arrestations dans le milieu des affaires, ou plus exactement de la contrebande, a été lancée le 23 septembre, marquant la reprise de la « guerre contre la corruption ». Une reprise qui s’effectue sur fond de polémique d’ordre sémantique mais aussi de scepticisme quant au bienfondé éthique et politique de l’opération. Explications.


Des unités spéciales des forces de l’ordre ont procédé le 23 septembre à l’arrestation de notamment de Jawhar Dammak, Wadi Rekik et de Mohamed Fkih, tous accusés de falsification de déclarations douanières et de contrebande de prêt-à-porter, respectivement à Sfax et au port de Radès. Le même jour, le contrebandier présumé Mohsen Sghaïer et Hédi Latrech à Médenine, également accusés de contrebande et de trafic d'armes.


Hier lundi 25 septembre, le chef de file du clan connu sous le nom d’emprunt de « Wachwacha », Hédi Ben Chibani Yahya, et que l’on croyait déjà sous les verrous, a été à son tour arrêté à Médenine, près de la frontière tuniso-libyenne. Une peine de deux ans de prison ferme et une amende de deux millions de dinars avaient été prononcées à leur encontre pour vente d’armes le 19 septembre 2017 par le Tribunal de première instance de Gafsa.


La plupart des sept accusés au total ont été placés en résidence surveillée, en attendant d’être transférés au pôle judiciaire financier. Quant à l’affaire Chafik Jarraya, déjà transféré de la résidence surveillée à la prison de Mornaguia, elle fut consolidée dans le même temps par Lazhar Akremi, ex-secrétaire d’Etat au ministère de l’intérieur et ancien de Nidaa Tounes, entendu toujours lundi 25 septembre par le juge d’instruction militaire en tant que témoin.


 


Ostracisée, l’INLUCC réplique


Après s’être enthousiasmé dans un premier temps pour l’initiative guerrière du gouvernement contre la corruption, le président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption Chawki Tabib a vivement critiqué la campagne en cours, reprochant au chef du gouvernement Youssef Chahed de faire cavalier seul et de « procéder de façon sélective ».


Concernée pourtant au premier chef et créée à grand renfort de deniers publics, son instance s’est vue ostracisée, à aucun moment associée à cet effort gouvernemental, si bien que Tabib suspecte aujourd’hui une absence de volonté réelle de s’atteler à la lutte anticorruption.


Le président de l’INLUCC cite à ce titre les affaires récentes de découvertes de viandes avariées : si les restaurateurs et leurs complices ont été traduits devant la justice, aucune action d’envergure n’a été prise pour combattre le système à la source, ni pour évaluer l’efficacité des mesures prises à ce jour.


 


Une guerre droitière ?


S’attaquer aux symptômes, aux maillons faibles de la chaîne, sans vision globale ni souhait de remonter aux barons les plus puissants et leur connexions gênantes avec l’establishment… et si le problème était idéologique ?


A connotation vaguement essentialiste, l’opération Chahed est parfois raillée aujourd’hui sur le net s’agissant du profil type de sa cible : généralement originaire du sud du pays, œuvrant dans le commerce parallèle… En somme un coupable tout désigné du patronat clean fortuné qui serait lui au-dessus de tout soupçon. Un narratif angéliste, bien commode du point de vue de la lutte des classes, où des « arrivés » se réjouissent de l’éradication de parasites.


La fameuse « guerre contre la corruption » prend en quelque sorte pour cible les PME du banditisme, des succursales de la grande délinquance. Dans le meilleur des cas, l’appellation « corruption » paraît partiellement valide. A juste titre lié dans l’inconscient collectif aux cols blancs, aux policiers « pourris » et aux connexions de l’Etat profond, le concept de corruption désigne davantage le processus par lequel un commis, en lequel on a placé une confiance collective, a trahi un serment en basculant dans la malversation ou la délinquance tacite. Or, certes hors la loi, aucune des sept nouvelles proies de la guerre anti « fassad » ne semble correspondre à cette définition.


 


Seif Soudani