Tunisie. Référendum: chiffres controversés et réactions des chancelleries occidentales

 Tunisie. Référendum: chiffres controversés et réactions des chancelleries occidentales

Farouk Bouasker, président de l’ISIE, est sous le feu des critiques

Scandale retentissant pour les uns, affaire d’Etat, ou encore tempête dans un verre d’eau pour les autres, une polémique a éclaté le 27 juillet autour de statistiques gonflées détaillant le résultat du vote au référendum présidentiel, publiées quelques heures par l’Instance chargée des élections, pour être dépubliées quelques moments plus tard.

Ariana, Tozeur, le Kef, Tataouine, Gabès, Sfax, Manouba, etc., ce sont pas moins de 25 sur les 33 circonscriptions électorales que compte le pays qui présentent des irrégularités allant de +27% à quelques +424% de votes en plus, comptabilisés frauduleusement ou par mégarde par ces documents. Les anomalies de plusieurs centaines de milliers de voix ont été rapidement constatées par les internautes et la société civile qui ont relevé l’écart flagrant entre le nombre d’habitants de ces régions, connu de tous, et les chiffres parfois grotesques publiés pendant plusieurs heures sur la page officielle de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

Face à la vague d’indignation et de dénigrement qui s’en suit, l’instance supprime l’ensemble de ces tableaux relatifs aux bureaux de vote par circonscription, avant de se fendre d’un communiqué laconique mais aussi en partie mensonger. L’ISIE parle en effet « d’erreur », tout en expliquant qu’il s’agissait là de tableaux non mis à jour. Or, il ne peut en aucun cas s’agir de problème d’« update » puisque les chiffres présentés étaient mathématiquement absurdes. Pourtant, les documents erronés sont signés en bonne et due forme par le président de l’ISIE, Farouk Bouasker, et portent son cachet. Sans présenter d’excuses, l’ISIE procède ensuite à la fermeture de la section commentaires de ses réseaux sociaux.

 

Pluie de recours en justice

A sa décharge, l’instance argue que ces résultats détaillés ne sont pas ceux pris en compte dans l’annonce des résultats préliminaires publiés la veille.

De nombreux soutiens du camp du « Oui » au référendum rétorquent par ailleurs qu’il s’agissait en réalité de l’inversion des chiffres de plusieurs régions « par négligence », et que si l’on fait les comptes de ces tableaux erronés, l’addition des votes erronés à la hausse et de ceux à la baisse ne donne en réalité « que » 70 mille voix supplémentaires au « Oui ». D’autres encore accusent l’administration de l’ISIE d’être infiltrée par des agents des Frères musulmans, cette main invisible ennemi favori des théories du complot.

Mais qu’importe la cause, le mal est fait, l’internet documente tout : cet incroyable cafouillage au sommet nuira à n’en pas douter durablement au processus électoral. La bévue porte un coup fatal à la crédibilité d’une instance des élections déjà critiquée pour son incompétence et pour les conflits entre ses membres. L’un d’eux, Sami Ben Slama, a ainsi été empêché de prendre part aux délibérations finales.

Pour l’ONG de vigilance I-Watch, cela est également le fruit de l’impréparation manifeste due au manque de temps imparti ne permettant pas l’organisation de pareil scrutin national. En sus d’un recomptage, l’organisation exige des comptes, tout comme l’association Mourakiboun ainsi que l’ONG Raqabah qui a fait constater le tout par huissier et demande un accès aux procès-verbaux.

 

Les pays occidentaux réitèrent leur préoccupation

Nommé par l’administration Biden en mai dernier, le diplomate américain, Joey Hood, nouvel ambassadeur des États-Unis en Tunisie non encore en poste, s’est prononcé hier mercredi 2022, devant la commission des relations étrangères du Sénat, à propos de la situation politique du pays. Hood était jusqu’ici le bras droit d’Antony Blinken, chargé des affaires du Proche-Orient au State department.

Dans son allocution, il a souligné : « Ma priorité absolue en tant qu’ambassadeur sera la sûreté et la sécurité des Américains vivant en Tunisie ou la visitant de passage. Ma seconde priorité sera d’aider à mettre la Tunisie sur une trajectoire plus stable et plus prospère[…]. Alors que les Tunisiens font face à d’importants défis économiques, ils sont dans une situation alarmante suite de la dégradation des normes démocratiques et des libertés fondamentales au cours de l’année écoulée, annulant de nombreux acquis durement obtenus depuis le renversement de la dictature en 2011. […]

Les actions du président Kais Saied suspendant la gouvernance démocratique et consolidant le pouvoir exécutif ont soulevé de graves questions […]. Je continuerai à soutenir la société civile et dialoguer régulièrement avec le gouvernement pour protéger les libertés fondamentales. Je demande également que les réformes politiques et les élections législatives annoncées pour la fin de cette année soient transparentes et inclusives ».

Plus circonspect, le Royaume-Uni a dit pour sa part reconnaître « les appels au changement lors du référendum constitutionnel en Tunisie ». Un communiqué explique ainsi : « Avec nos partenaires américains et européens, nous notons également le faible niveau de participation et les préoccupations concernant l’absence d’un processus inclusif et transparent. L’inclusion des principales parties prenantes – y compris les partis politiques, les organisations de la société civile, les syndicats et les médias – et un véritable débat public seront essentiels pour relever les défis politiques et économiques à venir et étayer la légitimité, la viabilité et la durabilité des réformes structurelles en Tunisie » déclare le ministre d’État britannique à l’Asie du Sud, à l’Afrique du Nord, aux Nations unies et au Commonwealth, Lord Tariq Ahmad.

Repris par l’ambassade de France en Tunisie, le Haut représentant au nom de l’Union européenne sur le référendum constitutionnel dit enfin prendre note des résultats provisoires du référendum constitutionnel qui s’est tenu en Tunisie le 25 juillet « et qui a été marqué par une faible participation. Un large consensus parmi les différentes forces politiques, y compris les parties politiques et la société civile, est essentiel pour la réussite d’un processus qui préserve les acquis démocratiques et nécessaire pour toutes les réformes politiques et économiques importantes qu’entreprendra la Tunisie. La légitimité et la durabilité de ces réformes en dépendra », conclut-il.