Rebondissement dans l’affaire Nagdh, vers une crise politique ?
Coup de tonnerre dans la nuit de lundi à mardi 15 novembre : la chambre criminelle du Tribunal de première instance de Sousse a prononcé un non-lieu dans l’affaire de l’assassinat de Lotfi Nagdh, dirigeant Nidaa Tounes à Tataouine, disculpant les personnes accusées de l’avoir lynché en octobre 2012. Un acquittement qui préfigure peut-être une crise politique au sommet de l’Etat. Explications.
Le procès avait été délocalisé à Sousse du temps de la troïka « pour éviter les soupçons d’interventions régionalistes et d’éventuelles tentatives de soudoyer les juges ».
Parmi les acquittés hier soir, le docteur Saïd Chebli, membre du bureau Ennahdha de Tatouine, devenu figure emblématique d’une injustice dans les milieux islamistes, mais aussi Abdelwaheb Thebti et Salem Ellani, accusés de meurtre prémédité, et Louhichi Fakhem accusé de complicité de meurtre. Tous avaient participé à une manifestation à l’appel d’Ennahdha et du CPR en 2012 contre la montée de Nidaa Tounes, parti assimilé alors à la contre-révolution, et particulièrement impopulaire dans le sud du pays.
Une manifestation qui avait mal tourné. A l’énoncé des verdicts hier, des partisans de Nidaa Tounes à Tataouine ont été condamnés à des peines allant de six mois à un an de prison pour jet de cocktails Molotov depuis le siège du syndicat des agriculteurs. Les accusés des représailles ayant résulté au tabassage de Nagdh ont toujours plaidé qu’ils avaient agi en légitime défense.
« Le mythe fondateur »
Présents en grand nombre dès la matinée hier au tribunal de Sousse et ayant fait le déplacement depuis la capitale, les dirigeants de Nidaa Tounes et de son dérivé « al Machroû » ne s’y sont pas trompés s’agissant de l’ampleur de l’enjeu politique. Une présence qui scandalise l’iconoclaste dirigeant d’Ennahdha Abdellatif Mekki, dans un statut posté lundi soir dénonçant « des tentatives d’intimidation de la justice ».
Tout au long de la semaine de procès, la tension était montée progressivement devant le tribunal de Sousse où deux camps s’était massés, séparés par les forces de l’ordre comme dans un remake des premiers mois post-révolution : des partisans de Nidaa Tounes ont même affirmé assister au « grand retour des Ligues de protection de la révolution » légalement dissoutes il y a trois ans. Des altercations sporadiques ont éclaté entre les deux parties sans plus de heurts.
Dans la même soirée, des médias proches de Nidaa Tounes annoncent que le président de la République serait intervenu en personne pour demander au ministre de la Justice de se pourvoir en appel via le parquet.
Fin 2012, l’émoi suscité par la mort de Lotfi Nagdh avait grandement contribué à la montée en puissance de Nidaa Tounes qui y avait trouvé une figure nationaliste du martyr « mort en défendant son QG contre des obscurantistes ». C’est ce narratif, récit érigé en mythe fondateur du parti, qui est mis en péril par la décision de justice. Un verdict d’autant plus significatif qu’il est prononcé à Sousse, théoriquement l’une des villes fiefs de Nidaa Tounes.
Sur les réseaux sociaux, des militants Nidaa promettent une revanche et s’indignent d’une alliance Nidaa Tounes – Ennahdha résultant selon eux en « une justice aux ordres ». Pourtant, la décision du juge est en l’occurrence un exemple d’indépendance.
Au-delà des supputations des uns et des autres, la jurisprudence Nagdh est surtout révélatrice de la fragilité du consensus tunisien récemment nobélisé. Un épisode qui vient rappeler en somme à quel point le chemin est encore long avant la réconciliation entre deux Tunisies.
Seif Soudani