Quelle marge de manœuvre pour Elyes Fakhfakh ?

 Quelle marge de manœuvre pour Elyes Fakhfakh ?

Elyes Fakhfakh


Devenu depuis sa désignation hier virtuellement l’homme le plus puissant du pays, chef de l’exécutif au sein d’un régime politique parlementaire mixte, du moins sitôt que son gouvernement sera entériné par l’Assemblée, Elyes Fakhfakh n’aura probablement pas les coudées franches pour appliquer son programme ni même former son équipe.


« Les tak (militants Ettakatol, ndlr) sont sociaux-démocrates, sérieux, intègres, compétents mais totalement nuls en campagne électorale ! Heureusement que le destin leur donne, pour la 2ème fois depuis 2011, un gros coup de pouce. Nous avons eu un social-démocrate pour écrire la Constitution et nous avons maintenant un social-démocrate pour réformer l’Etat », commente Sami Bahri, ancien responsable d’Ettakatol, parti que l’on pensait mort et enterré, mais qui renait inespérément de ses cendres avec la nomination de l’une de ses figures majeures à la Kasbah.


C’est en effet à la faveur d’un incroyable concours de circonstances que le quadragénaire accède à ce poste, plus encore que son actuel occupant, Youssef Chahed, qui avait lui-même concédé être arrivé au pouvoir « complètement par hasard ». S’il aura fallu à ce dernier une décomposition de Nidaa Tounes, rongé par des luttes clientélistes, il aura fallu pour l’ascension de Fakhfakh un score personnel de 0,34% à la présidentielle d’octobre 2019, suivi de l’affaiblissement d’Ennahdha avec la chute du gouvernement Jemli, pour que le parti islamiste soit contraint de ne pas opposer de véto à la nomination d’un moderniste laïc à la tête du gouvernement.    


 


Elyes Fakhfakh le progressiste ?


Quelques heures seulement après l’annonce de sa désignation par Kais Saïed, de nombreux internautes tunisiens se sont livrés au sport favori du moment : déterrer d’anciennes séquences vidéo contenant des prises de position, notamment sociétales, susceptibles d’embarrasser l’intéressé ou de retourner l’opinion publique contre lui.


Parmi elles, une série de promesses qu’Elyes Fakhfakh avait faites du temps où il était, en septembre 2019, candidat à l’élection présidentielle. Au programme : l’abolition du test anal encore effectué par la police en vertu du code pénal prohibant l’homosexualité, l’abolition de l’obligation pour un couple de présenter un contrat de mariage pour résider dans un établissement hôtelier, ainsi que la décriminalisation de la consommation de cannabis.


Dans une autre séquence, Fakhfakh affirme qu’il est temps de supprimer la circulaire sur la fermeture des cafés et restaurants durant le mois du ramadan, et dit son opposition à la peine de mort sauf dans certains cas extrêmement rares. Autre séquence déterrée par les réseaux sociaux, une vidéo où il se prête au jeu des question réponses et dit sa préférence à la bière locale, la Celtia, par opposition à une marque étrangère.  


Paradoxalement, c’est maintenant qu’il est aux portes de l’investiture à la présidence du gouvernement que l’homme pourrait réellement songer à appliquer ces réformes, là où ces promesses n’avaient pas grand sens dans le cadre de la présidentielle, car hors propositions de lois, Carthage ne dispose selon l’actuelle Constitution que des prérogatives de la Défense et des Affaires étrangères.


Cependant il y a fort à parier que ces débats sociétaux seront soigneusement remis à plus tard, voire relégués aux oubliettes, au profit des questions socio-économiques, pour un chef du gouvernement dont le mandat sera quadrillé par un président de la République, Kais Saïed, conservateur sur les questions sociétales, et un Parlement présidé par Ennahdha.


 


Un mandat complexe


En attendant, le premier engagement pris par Elyes Fakhfakh est la réduction du nombre de ministres au sein d’une équipe gouvernementale qu’il souhaite restreinte. 


Si les accointances partisanes le poussent à recruter parmi les rangs de ses anciens compagnons de route d’Ettakatol, l’homme sera sans doute placé face au dilemme de la fidélité aux siens, et l’impératif de faire oublier l’image de ce parti honni par une partie des élites tunisiennes.


Des élites qui ne lui ont jamais pardonné la normalisation de ses relations avec l’islam politique. En témoigne l’échange extrêmement houleux qu’il eût fin 2019 avec l’avocate et chroniqueuse Maya Ksouri, qui reprochait à Fakhfakh de ne pas avoir démissionné lorsque Ennahdha avait rendu hommage aux anciens djihadistes de Soliman.   


Fakhfakh devra enfin avant toute chose composer avec l’encombrant soutien de Tahya Tounes, parti de son rival d’hier Youssef Chahed et héritier de Nidaa Tounes.


Ainsi le parti Attayar, l’autre unique soutien affiché de Fakhfakh, soupçonne ce soutien inattendu d’être le fruit d’un deal politique pour assurer à Chahed une sortie honorable et un portefeuille ministériel. Des frictions précoces, annonciatrices d’un mandat compliqué à l’aune d’un Parlement très éclaté, où le premier casse-tête sera de s’entourer d’une ceinture politique majoritaire et viable.    


 


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