Que nous apprennent les « vrais chiffres » du tourisme en Tunisie ?
La Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie, organisation regroupant les chambres patronales du secteur dans le pays, a tenu un point de presse afin de donner son analyse des chiffres publiés dans la même semaine par l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) et « éclairer l’opinion publique sur la réalité du secteur ». Un bilan plutôt flatteur, qui cache cependant quelques bémols.
Point presse de la FTH
Premier point objet d’un certain satisfecit, la FTH s’est félicitée de la croissance observée en 2018 par rapport à 2017, une progression enregistrée à plus d’un titre, détaillée comme suit :
• Total des entrées touristiques : 8.299.137 (+18%)
• Nuitées passées dans les hôtels : 27.070.302 (+23%)
• Recettes touristiques en devises : 4,1 milliards de dinars tunisiens (+45%), soit environ 1,31 milliard d’euros (+26%).
Des chiffres qui en font « le plus important secteur de l’économie tunisienne », selon la FTH.
Tous les voyants au vert, pour la première fois depuis 2010
La fédération relève qu’en dépit de la dépréciation continue du cours du dinar durant l’année, les recettes ont augmenté pour la première fois depuis 2010, année charnière pré révolution.
Signe de l’importance du marché européen, cette reprise est essentiellement dû au retour des touristes européens, ceux-ci représentant au passage « les marchés les plus structurés et les plus transparents » (aisément comptabilisables, ndlr).
En revanche, la même source regrette que les touristes maghrébins, qui représentent quant à eux plus des deux tiers des entrées à hauteur de 68%, continuent de procéder souvent au change des devises en dehors des circuits réguliers, et par conséquent à payer leurs séjours en dinars.
Par ailleurs, le président de la FTH Khaled Fakhfakh explique que l’écrasante majorité des visiteurs européens (91%) se logent dans les hôtels, tandis que les visiteurs maghrébins (essentiellement Algériens et les Libyens) privilégient la location de villas et d’appartements et sont 25% uniquement à être hébergés par des hôtels, et que les Tunisiens résidents à l’étrangers privilégient quant à eux le domicile familial et les locations et sont 4% seulement à jeter leur dévolu sur les hôtels.
Ainsi, en excluant les marchés maghrébins, les recettes par visiteur se calculent donc comme suit :
4093 millions TND, divisés par 2.611.508 visiteurs non maghrébins = 1567 TND, soit 501€ (592 US$) par touriste, dépensés en moyenne lors d’un séjour en Tunisie.
Dans la mesure où les clientèles algérienne, libyenne, et tunisienne résidente à l’étranger paie les prestations touristiques en dinars tunisiens, la FTH estime les revenus non comptabilisés en devises à 3106 millions de TND, ce qui porter en réalité le total des recettes touristiques en devises à environ 7,2 milliards de dinars tunisiens.
Ces hypothèses se basent néanmoins sur une déclinaison du détail des dépenses moyennes comme suit : une nuitée hôtelière de 230 TND, soit le même tarif que les touristes européens, et une dépense moyenne par visiteur non hébergé à l’hôtel de 500 TND par séjour.
Redonner au secteur sa vraie valeur
Par conséquent la FTH affirme que les recettes publiées par l’ONTT « doivent être revalorisées et adaptées aux standards recommandés depuis l’an 2000 par l’OMT » (Organisation Mondiale du Tourisme).
Ces standards, appelés CST en jargon des professionnels du secteur (Compte Satellite du Tourisme) ajoutent aux recettes amputées telles que publiées aujourd’hui : les revenus du tourisme local, les revenus des Tunisiens résidents à l’étranger (actuellement comptabilisés en revenus du travail), mais aussi les revenus du transport aérien lié au tourisme, actuellement non comptabilisées en tant que recettes touristiques. Fakhfakh regrette enfin que les revenus des musées et autres lieux du patrimoine, affiliés à la Culture, ne soit pas non plus comptabilisés.
En conclusion la FTH réitère sa demande d’avoir des statistiques fiables qui « reflètent la réalité du poids du tourisme dans l’économie nationale ». Ainsi une étude de 2014, toujours non publiée par l’ONTT, établit le poids du tourisme dans le PIB à 13%, voire à 17% si on y ajoute les revenus des Tunisiens résidents à l’étranger, et non 7 à 8% comme il est d’ordinaire considéré. « Le tourisme, c’est bien plus que quelques hôtels, quelques agences, quelques guides, et basta ! » martèle Khaled Fakhfakh.
Pourquoi tant d’insistance sur cette nécessité de revalorisation ? Selon les propriétaires hôteliers, cette reconsidération conduirait de facto l’Etat à investir davantage dans les infrastructures locales, surtout de régions comme Djerba, Tabarka, ou encore Tozeur, très dépendantes du tourisme.
Mais un nouveau ministre issu précisément du monde des agences de voyage, et qui n’aura qu’une année à peine avant les prochaines élections législatives pour procéder à des réformes, pourra-t-il y changer quoi que ce soit ? Rendez-vous fin 2019 pour en juger.
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