Que faut-il attendre du remaniement ministériel « gouvernement Chahed 2.0 » ?
Depuis le « renversement parlementaire » du 30 juillet 2016 qui avait eu raison du gouvernement « Essid 2 », le cycle de l’évaluation annuelle du bilan gouvernemental, mis en place de facto, fait de l’été une période propice au remaniements ministériels en Tunisie. Objet de toutes les spéculations, si la seconde mouture du gouvernement Youssef Chahed est particulièrement attendue, c’est parce qu’elle répondra à des enjeux politiques déterminants notamment en vue de l’année électorale 2019 : si le locataire de la Kasbah réussit à imposer sa nouvelle équipe, il sera définitivement en orbite pour Carthage.
Avec deux grands ministères vacants, l’Education nationale et les Finances, gérés par intérim depuis plusieurs mois, Youssef Chahed est sous pression pour mettre un terme à ce provisoire qui dure et qui ampute les ministres intérimaires de la légitimité nécessaire pour engager des réformes dans ces deux secteurs clés.
Au lendemain du double limogeage respectivement de Néji Jalloul et de Lamia Zribi en avril dernier, la volonté de Chahed de temporiser en choisissant de ne pas aller devant l’Assemblée pour affronter les députés au sujet d’éventuels remplaçants, était en soi une indication qu’il remettrait à plus tard le jeu de chaises musicales, à l’occasion d’un remaniement plus vaste, peut-être aussi plus ambitieux…
Vers un « super ministère » de l’Economie ?
Depuis sa complicité affichée lors de la conférence internationale de l’Investissement Tunisie 2020 avec Youssef Chahed, il se murmure que Fadhel Abdelkafi, ministre du Développement et ministre par intérim des Finances, serait j’homme par qui se ferait la très probable réunification d’un ministère de l’économie à la manière de Bercy en France. « Il n’y aura pas un ministre des Finances en cas de remaniement, mais un super-ministère de l’Economie réunissant plusieurs départements », aurait en effet confié Chahed à son entourage.
Pour ce ministère se trouvant déjà hiérarchiquement directement derrière les quatre ministères régaliens, il s’agira d’une concentration des pouvoirs et d’autant de départements (Commerce, Industrie, etc.) qui ne semble pas gêner Abdelkafi. Pourtant, sa nomination au ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale avait déjà soulevé une controverse, en raison du cumul de son statut d’ex président du conseil d'administration de la Bourse de Tunis, ainsi que celui de son père Ahmed Abdelkafi, membre du conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie, en sus de l’empire financier Tunisie Valeurs géré par la même famille.
Une lutte d’influence est par ailleurs engagée parmi les ministrables potentiellement à la tête du ministère de l’Education, l’un des trois plus grands portefeuilles avec ceux de l’Intérieur et de la Santé (1742 millions de dinars en 2017). Malgré le démenti de l’intéressé, le nom de Borhène Besaies circulait avec insistance. Cet ancien professeur d’Education civique, devenu propagandiste de l’ancien président Ben Ali, est de nouveau aux affaires après une traversée du désert. Mais il semble que Hafedh Caïd Essebsi tient davantage à le promouvoir ministre que lui-même, aujourd’hui heureux stratège de Nidaa Tounes.
Un dilemme
C’est là tout le paradoxe de la situation dans laquelle se trouve Youssef Chahed aujourd’hui : au sommet de sa popularité à 41 ans avec sa guerre fraîchement entamée contre la corruption, il doit composer avec les demandes de représentativité de sa formation politique, Nidaa, en état de délabrement avancé, et ses ambitions personnelles et l’impératif de soigner son image en s’affranchissant clairement des déboires du parti.
S’il se rapproche trop de Mohsen Marzouk, transfuge Nidaa qui ne demande que cela, il se mettrait à dos Ennahdha, bête noire de Marzouk, et parti qui demande à conserver un même quota de ministères. S’il renoue avec sa formation politique d’origine d’Al Jomhouri et affiliés, il romprait officiellement avec l’homme fort de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, qui demande quant à lui le départ d’Iyed Dahmani (Al Jomhouri) actuel porte-parole du gouvernement.
S’il réussit en revanche le pari inextricable et compliqué de concilier tous ces enjeux tout en installant une équipe restreinte autour de lui, il se frayerait alors un boulevard vers Carthage pour 2019.
S.S