Quand le grand public découvre « Hafedh »
Tout le monde en parle, mais personne ne le connait. Figure de discorde au sein du parti fondé par son père, Hafedh Caïd Essebsi a pu rester un personnage énigmatique jusqu’à ce que la pression soit trop forte pour qu’il puisse continuer à agir en coulisses. Il y a quelques jours, le grand public découvrait sa voix hésitante lors d’une intervention en duplex sur un plateau d’Elhiwar. Mercredi soir, il avait droit à son prime time en terrain allié, une opération com’ comme sait en faire Nessma TV.
C’est un secret de Polichinelle, le patron de la chaîne Nabil Karoui est dans le même camp du fils prodigue qui a fait main basse sur Nidaa Tounes, tout en s’autoproclamant co-fondateur du parti. « J’ai préféré ne pas appartenir à l’instance constitutive du parti dans un premier temps, pour ne pas embarrasser mon père », explique Hafedh Caïd Essebsi en début d’émission, pour justifier le fait d’avoir rejoint cette entité après-coup. Un non-sens légal d’après des observateurs juristes pour qui une instance constitutive est par définition « un instantané du droit » qui ne saurait être modifié ultérieurement.
Le Nobel dévoyé à des fins pas très nobles
Devant Borhène Bsaies, ancien propagandiste semi-repenti du régime Ben Ali, le décor est planté : un plateau aux couleurs du prix Nobel de la paix, que Nessma TV a décidé de s’approprier, sorte de caution morale à toutes sortes de thématiques sans grand rapport avec ladite distinction.
« Qui est Hafedh Caïd Essebsi ? », lance le présentateur en guise de perche à l’interviewé invité à détailler son CV. La biographie en question, énoncée à la troisième personne, ne renseigne en rien sur le parcours académique de l’invité : de l’évocation de son enfance dans le giron d’un papa qui aurait participé aux luttes de décolonisation, on passe directement à la co-fondation d’un parti politique anecdotique, troisième aux élections législatives de 1989. Pour arriver enfin à un poste de responsabilité dans la gestion de l’Espérance sportive de Tunis dans les années 2000, club de football dont il deviendra vice-président en 2011.
Évoquant ensuite la genèse de Nidaa Tounes à laquelle il aurait assisté dès les premiers instants, il insiste sur la correction de ce qui représente selon lui une contre-vérité historique : le parti ne serait pas né le 16 juin 2012, mais fin octobre 2011, quelques heures après la proclamation des résultats des élections de l’Assemblée constituante : « j’étais dans le bureau de l’ancien Premier ministre [Béji Caïd Essebsi, ndlr] lorsqu’il a brandi les résultats. Nous avions alors décidé en compagnie de Ridha Belhaj et Raouf Khammassi de la nécessité de lancer un nouveau parti pour rééquilibrer le paysage politique tunisien », explique-il.
Cette version ne rend probablement pas service à Béji Caïd Essebsi qui avait donné une version différente : l’actuel président avait en effet au contraire annoncé en 2011 son retrait de la vie politique à l’issue de la tenue des premières élections libres. Avoir décidé immédiatement à l’aune des résultats de la constituante de fonder un parti politique tend à prouver que la décision obéissait donc bien à une logique de réaction nostalgique aux urnes.
Une querelle avec Marzouk qui agace les Tunisiens
Mais le moment phare de l’entretien est celui où Hafedh Caïd Essebsi doit revenir sur les raisons de la dispute fratricide qui l’oppose à l’ambitieux Mohsen Marzouk, secrétaire général en exercice de Nidaa Tounes. Visiblement confus et en manque d’arguments, l’interviewé se contente de renvoyer le présentateur à un article d’al Chourouk où il est question de la récente tournée de Marzouk aux Etats-Unis, au cours de laquelle ce dernier aurait vilipendé l’actuelle présidence.
« Il a délibérément nuit à l’image de son pays et a été médisant au sujet du président de la République. Sous d’autres cieux, cela serait passible de sanctions », a martelé Hafedh Caïd Essebsi, insinuant que son rival se serait rendu coupable de haute trahison… Pour un parti qui se prévaut des valeurs du patriotisme, cela fait désordre.
Facétieux, en guise de réponse elliptique, Mohsen Marzouk n’a fait que poster un simple smiley sur son compte officiel sur Facebook, un posting manifestement bien accueilli par ses partisans puisqu’il a recueilli des centaines de « likes ».
Que penser au final de la « performance » télévisée de Hafedh Caïd Essebsi ? Survivance décomplexée du népotisme, emprunté et peu charismatique, le vice-président de Nidaa Tounes a surtout saisi l’occasion pour annoncer ce dont son entourage se doutait déjà : au prochain congrès, il ne sera pas candidat ni à la présidence du parti, ni au secrétariat général, ni à la présidence de la République. Encore heureux.
S.S