Quand l’idéologie s’invite en marge de la Conférence internationale de l’investissement
C’est aujourd’hui le jour J du coup d’envoi de « Tunisia 2020 ». Si la grande conférence dont on nous promet monts et merveilles en termes de retombées économiques pour le pays, démarre lundi, ses préparatifs durent depuis des mois durant lesquels des officiels tunisiens ont sillonné le monde pour la promouvoir. En fin de semaine dernière, des déplacements du chef du gouvernement, sur le territoire national cette fois, en disent long sur le volet politique et idéologique qui sous-tend l’évènement.
C’est par une série de rencontres de haut niveau, où le président Béji Caïd Essebsi, rencontre pendant deux heures ses homologues venus du monde entier, que débute aujourd’hui la conférence. Objectif de cette séance inaugurale selon Fadhel Abdelkéfi, ministre tunisien de l'Investissement et de la Coopération internationale : « se doter d’une ceinture politique, pour promouvoir les progrès en matière de stabilité et de sécurité de la Tunisie cette dernière année, seul pays ayant réussi sa transition post révolutions arabes ».
La com’, nerf de la guerre
A bien observer le déplacement de Youssef Chahed avant-hier samedi à Jendouba (nord-ouest), l’une des régions les plus touchées par le chômage, on est en droit de se demander si le souhait de l’exécutif n’est pas également de s’entourer d’une ceinture idéologique… Le chef du gouvernement y était officiellement pour remettre à deux cents entrepreneurs l’aval écrit des autorités locales et des banques publiques.
Une opération communication est en effet presque passée inaperçue, mise en scène ce weekend dans une vidéo sur fond de petite mélodie féérique. Une dame y récite un script visiblement préparé à l'avance sur les vertus de l’entrepreneuriat et de l'initiative privée. Un mari au chômage, partie de « deux vaches », elle contracte un prêt puis gagne la confiance de bailleurs de fonds pour faire prospérer son affaire. Elle conclut en s’adressant fièrement à Chahed : « vous n’entendrez jamais parler de moi ni de mes doléances ».
Éthiquement il n'y a, a priori, rien de mal à organiser ce type de marketing politique de droite à base de success stories, à condition de le signaler en tant que tel. Ainsi ce qui est en réalité promu ici, c’est l’idée du désengagement total de l’Etat, du moins la promotion progressive de l’idée néolibérale d’un Etat simplement « garant des grandes infrastructures », comme est venu le dire Youssef Chahed, un Etat autrement dit réduit à sa plus simple expression de fournisseur du cadre de l’initiative privée.
« La force de la détermination » martelée par la volontariste jeune femme d’affaires agricoles suffit-elle ? Force est de constater qu’hormis les « 150 familles » qui détiennent les rennes de l’économie tunisienne, rares sont encore les entrepreneurs qui excèdent le statut de PME.
Prémices d’une forte opposition à la conférence
« Conférence de l’investissement, conférence de la colonisation », titrait dimanche Samar Tlili, militante associative dans une tribune où elle s’interroge : « Quand comprendrons-nous qu’organiser ce type de sommets internationaux de coopération, étant donnée la situation économique de la Tunisie, avec la fragilité, la faiblesse et l’absence de tout garde-fou qui la caractérisent face aux groupes d’intérêts mondiaux, ne peut résulter qu’en toujours plus d’hégémonie extérieure pour exploiter nos ressources ? ».
Se sentant probablement attaquable sur cette question de la souveraineté des choix économiques du pays, Fadhel Abdelkéfi, ministre vedette de la conférence, a pris soin de bien souligner lors d’une conférence de presse tenue vendredi qu’une quarantaine d’investisseurs nationaux sont attendus du 28 au 30 novembre. Les observateurs savent néanmoins que les organisateurs misent surtout sur les capitaux étrangers pour financer les 145 projets ouverts à la concurrence.
Pour affronter les éventuelles critiques sur l’hypothèque de l’avenir économique du pays par l’actuelle formation au pouvoir, le gouvernement Chahed compte faire valoir son statut institutionnellement plus stable et légitime que l’éphémère gouvernement Mehdi Jomâa, qui avait organisé un sommet de l’investissement similaire en 2014, resté sans suites tangibles. Quant à savoir si l’argument suffira en cet hiver social qui s’annonce tendu, rien n’es moins sûr.
Seif Soudani