Privatiser les profits, socialiser les pertes
Passée la propagande médiatique autour de la conférence internationale de l’investissement qui s’est achevée le 30 novembre dernier, qu’aura-t-on retenu au-delà d’une confuse foire aux chiffres ? La bouffée d’air que les très théoriques 34 milliards de dinars promis par les investisseurs ressemble davantage aujourd’hui à un sursis pour un pouvoir au bout du rouleau s’agissant des négociations sociales. Pour le reste, les mêmes choix du bénalisme en matière de développement sont reconduits. Explications.
En apparence, c’est le secteur public qui bénéficie de la part du lion des investissements prévus, avec 46, 2%, suivi de 30,34% pour le secteur privé, et 23,44% destinés aux « PPP », partenariat public-privé.
A en croire notre source, une étude officielle produite par le ministère du Développement et de la coopération internationale, les fonds issus du sommet couleraient à flot à destination d’un secteur public en crise, en proie à divers mouvements sociaux dont une grève générale annoncée pour le 8 décembre prochain. A y regarder de plus près, ce sont les sommes obtenues sous forme de prêts des bailleurs de fonds internationaux qui financeront ces projets du secteur public, à hauteur de 93,85%, notamment les grands travaux de rénovation de l’infrastructure.
Pour rappel, avant de contracter ces nouveaux prêts, la dette extérieure de la Tunisie pour 2017 était estimée à 62% du PIB, soit 56 milliards de dinars et 6,5 milliards de déficit.
Les secteurs lucratifs, chasse gardée du privé
Le même document révèle surtout que les investisseurs privés opteront massivement pour les secteurs les plus lucratifs. Ainsi 69% des investissements dans le secteur touristique, 67% de ceux dans l’industrie, et 75% de ceux dans l’immobilier sont accaparés par les fonds privés.
Si les investissements dans le secteur de la santé sont assurés également aux deux tiers par les investisseurs privés, ces derniers n’investissent exclusivement que dans les cliniques et les centres hôteliers thérapeutiques, ne laissant aux investissements publics que 5 projets destinés à la rénovation d’hôpitaux.
Pour la décentralisation, on repassera
Autre disparité flagrante qui ressort de la feuille de route post « Tunisia 2020 » : les régions laissées pour compte suite aux choix de l’ex dictature en matière de développement demeureront dans leur isolement. Ainsi pas moins de 75% des 145 projets sont réservés à la capitale et aux zones côtières du pays, 25% étant le lot des régions intérieures…
Pis, 90% des projets touristiques sont destinés au littoral est, qui bénéficie également de 78% des investissements dans l’industrie.
Des chiffres qui à eux seuls démontrent que derrière les slogans de réforme et de reconstruction, les mêmes choix de politique générale sont maintenus, voire consolidés, ceux-là mêmes qui ont résulté en des décennies de marginalisation et d’inégalités sociales.
Seif Soudani