Pressions de la présidence de la République pour censurer un entretien de Moncef Marzouki

 Pressions de la présidence de la République pour censurer un entretien de Moncef Marzouki


L’entourage de l’ancien président de la République Moncef Marzouki a indiqué hier soir mercredi qu’un entretien télévisé qu’il avait accordé à la chaîne privée Attessia TV a tout bonnement été censuré, « suite à des pressions exercées notamment par le Palais de Carthage ». Des pressions confirmées aujourd’hui par des journalistes de la chaîne mais aussi par le Syndicat national des journalistes tunisiens qui condamne fermement cette ingérence et tire la sonnette d’alarme de retour du despotisme.




 


Faisant allusion au propriétaire de la chaîne Moez Ben Gharbia, considéré comme proche des cercles de l’ancien régime, Marzouki écrit sur sa page officielle :


« J’ai beaucoup hésité avant d’accepter cette interview. Personne ne connait mieux que moi ce genre de médias, mais j'ai voulu leur accorder une chance ».


L’ancien président précise ensuite qu’il avait pu au préalable poser certaines conditions, telles que le bannissement de questions relatives à des intox éculées telles que : « Pourquoi avez-vous remis Baghdadi Mahmoudi ? Pourquoi avez-vous reçu les terroristes au Palais ? Pourquoi avez-vous expédié nos enfants en Syrie ? etc. »


Marzouki ajoute que l’interview d’une heure et demie avait été enregistrée dès samedi 3 septembre 2016 « dans de bonnes conditions», mais qu'elle n'a finalement pas été diffusée. Il explique avoir eu des échos concernant des pressions exercées sur la chaîne pour interdire sa diffusion : « Comment peuvent-ils être d’une telle naïveté, n’imaginent-ils pas le scandale ? N’ont-ils pas calculé le timing alors que « l’homme » va se rendre à New York pour donner l’exemple d’un président démocrate ? » s’indigne-t-il.


 


Une volonté d’exclure Marzouki du paysage médiatique


Lors d’une conférence de presse consacrée ce matin à ce scandale, Adnène Manser, numéro 2 du parti d’opposition de Moncef Marzouki Alirada s’est exprimé sans détours. L’homme a en effet accusé la présidence de la République et certains membres du gouvernement d’avoir proféré des menaces contre la direction de la chaîne Attessia pour interdire la diffusion de cette interview. Le parti dénonce « une dangereuse atteinte à la liberté de la presse et à son indépendance », appelant la chaîne à assumer son entière responsabilité pour diffuser l’interview dans son intégralité et ne pas céder aux pressions.


« Cette violation traduit la culture de la dictature enracinée chez l’actuelle équipe au pouvoir », souligne un communiqué du parti titré « ils prennent pour cible la presse pour cacher leur propre échec », signé par son président Moncef Marzouki. « Le but de cette censure : que Moncef Marzouki n'apparaisse pas dans les médias… Marzouki n'est pas fini, c'est maintenant qu'il démarre politiquement… », a surenchéri Manser.


A cette heure aucune annonce de l’interview n’a été faite sur le site officiel d’Attessia, et encore moins un quelconque démenti ou réaction sur leur page prise d’assaut par les internautes. Mais les journalistes de la chaîne commencent quant à eux à réagir. Ancien propagandiste de Ben Ali, le chroniqueur Borhen Bssais est en effet revenu aujourd’hui jeudi sur les détails de cette censure en règle, révélant que « cette affaire pourrait faire tomber bien des têtes politiques ».


Si « la Tunisie n’est pas l’Egypte », comme aiment à le marteler certains analystes, cette première grave atteinte à la liberté de la presse pourrait signer l’entrée du pays dans un nouvel autoritarisme similaire à celui en vigueur chez le voisin égyptien. Nous y reviendrons.


MISE A JOUR 15h00 : La chaîne a finalement réagi cet après-midi par un communiqué signé par son PDG et dans lequel  elle dénonce les pressions "exercées par ceux qui parlent au nom de la présidence de la République et du gouvernement", tout en exprimant son positionnement pro liberté de la presse et en annonçant la diffusion de l'entretien intégral "dans le timing qu'elle jugera approprié". C'est un camouflet pour le pouvoir exécutif.


 


Seif Soudani