Présidentielle : les objectifs inavoués des candidatures

 Présidentielle : les objectifs inavoués des candidatures


Le nombre des prétendants au scrutin présidentiel du 15 septembre en Tunisie, 26 au total, peut surprendre les observateurs étrangers, surtout lorsqu’ils ne sont pas au fait des considérations purement stratégiques, voire honorifiques, de la plupart de ces candidatures.  


Quel genre de motivation peut pousser un homme ou une femme politique, de carrière ou non, à déposer une candidature souvent coûteuse en temps et en argent, hormis les cas de provocations de riches excentriques en mal d’attention ?  


 


Une base pour un futur "deal"


Interrogé lors de son plus long passage TV de campagne en date il y a quelques jours sur d’éventuels pourparlers avec des adversaires en vue d’un désistement ou de consignes de vote en sa faveur, Youssef Chahed a pour la première fois admis qu’il en existe actuellement avec Mehdi Jomâa et Mohsen Marzouk, deux profils similaires au sien de par leur ADN politique.


S’agissant des candidatures de premier plan, avec des chances non négligeables de réaliser des scores importants, c’est là la première grande motivation souvent ignorée par les commentateurs des élections : il est clair en effet que ni Jomâa, ni Marzouk ne pensent réellement avoir les chances de remporter un premier tour, et encore moins un second tour présidentiel. Une probabilité confortée par les plus récents sondages.


Dans ces conditions, ce type de candidature proche d’une candidature de colistier, vise davantage l’obtention d’une assise forte en vue de négociations futures pour une place de ministre, voire de chef de gouvernement, qu’une victoire finale à la présidentielle.    


Autre manœuvre électorale propre aux aspirants aux premières places : l’objectif d’une victoire en deux temps. Une stratégie valable surtout pour les candidats les plus jeunes, pour qui se donner une visibilité et un score honorable en 2019, n’est que partie remise pour l’horizon 2024. Cela vaut pour Youssef Chahed lui-même qui pourrait échouer de peu à l’emporter, mais aussi pour des candidats révélations de ce scrutin et dont les Tunisiens retiennent à présent les noms.


Un calcul de la « capitalisation » qui a sans doute présidé au choix de Moncef Marzouki de se présenter en 2019, lui qui avait réalisé un bon 44,32 % en 2014, sauf qu’il s’agit d’un mauvais calcul en l’occurrence, la donne politique ayant considérablement changé en sa défaveur aujourd’hui.  


 


Le leadership au sein des familles politiques   


Il y a ensuite l’autre grand enjeu implicite et non-dit d’une grande partie des candidatures, peut-être même la majorité d’entre elles. Ainsi sur les 26 candidats, 7 sont à des degrés divers des détenteurs de l’idéologie pro destourienne, autant d’autres sont les dépositaires autoproclamés de la ligne pro révolution y compris dans son versant islamisé, et quelques autres appartiennent enfin à la gauche radicale.   


Les deux représentants de cet enjeu crucial de la lutte pour le leadership d’une famille politique donnée sont sans doute les deux candidats Mongi Rahoui et Hamma Hammami, qui s’entredéchirent autour de la propriété intellectuelle et symbolique du Front populaire. Tous deux feront selon les sondages au mieux entre 1% et 5%, mais tous deux sortiraient de ce scrutin avec un perdant et un gagnant de facto du titre de chef légitime, au suffrage universel direct, du courant qu’ils représentent.   


Il en va de même pour le tandem Kais Saïd / Seifeddine Makhlouf dans le camp « conservateurs pro révolution », un camp qui se cherche un nouveau leadership, ou encore le duo Mohamed Abbou / Moncef Marzouki issu de l’ancien CPR, sans compter les revanches personnelles telles que celle de Hatem Boulabiar sur son ancienne formation Ennahdha.


Signe de bonne santé démocratique, le chiffre élevé de 26 candidats n’en est pas moins le reflet d’un pluralisme en pleine gestation, qui a probablement besoin de se décanter avant de donner naissance à des pôles politiques plus restreints, à l’image des grandes démocraties où les offres politiques se limitent typiquement de plus en plus à deux grandes entités, avec tout au plus un ou deux outsiders par élection.